Ces quelques paragraphes ne sauraient être à la hauteur de
l’excellent article d’Antoine Bioy publié sur le site de
l’Institut
Français d’Hypnose, mais il me semblait important d’ajouter
quelques réflexions personnelles sur le personnage de François
Roustang.
L’hypnothérapie est aujourd’hui une discipline reconnue,
enseignée et pratiquée dans les champs de la thérapeutique et de
la médecine. Cependant, dans les années 80 son utilisation restait
marginale, car personne n’était – pas plus qu’aujourd’hui –
en mesure d’expliquer scientifiquement, imagerie à l’appui, son
fonctionnement
Faisant fi de ce handicap, l’hypnothérapie a su se frayer un
chemin dans une jungle thérapeutique. Sans l’appui de réelles
études cliniques, sachant combiner subtilité et polymorphisme, elle
est devenue ce qu’elle est aujourd’hui : une pratique
reconnue et enseignée en faculté de médecine.
Roustang en serait-il l’instigateur ?
Dans le domaine de l’hypnothérapie François Roustang faisait
figure d’OVNI, car depuis les travaux d’Erickson, il avait réussi
à en dépasser les limites. Alors qu’il aurait pu se contenter
d’appliquer les recettes issues du riche corpus développé par le
psychiatre de Phoenix, il a su « désapprendre » pour
découvrir la pertinence d’un corps dont la substance intelligente
fabriquerait la pensée.
Bon nombre d’hypnothérapeutes, et moi le premier, devraient
avoir l’honnêteté de le reconnaître : pendant que nous
continuons de demander à nos patients de s’installer sur un
confortable fauteuil pour entamer la séance, Roustang pouvait
soigner une personne en lui demandant simplement si elle ressentait
quelque-part dans son corps un lieu où pouvait se manifester la
genèse de son problème. François Roustang faisait cela
naturellement, alors que le patient était assis sur une chaise, sans
passer par la case fauteuil et encore moins celle de la sacro-sainte
détente.
Était-il le premier à avoir constaté que la posture et les
sensations définissaient à elles seules la possibilité d’un
changement ? D’un point de vue occidentale assurément. Les
orientaux l’avaient compris depuis longtemps. Nous savons
aujourd’hui que la méditation donne lieu à une meilleure santé
mentale et physique. Et qu’est-ce que la méditation si ce n’est
une redescente dans le corps et toutes ses sensations ?
Pourrions-nous alors supposer qu’être seulement là, selon
les termes de Roustang, serait une autre façon de définir la
méditation ? En outre, malgré une courte disparition des
écrans radars lors de la Révolution Culturelle, le Qi Gong est
aujourd’hui fermement reconnu et enseigné par la médecine
chinoise. Et qu’est-ce que le Qi Gong si ce n’est la recherche de
la posture idéale ?
Il m’arrive souvent de parler de l’intelligence du corps à
mes patients. Je le fais pour les aider à dépasser le champ de la
pensée pour dissoudre un mal-être. Pendant longtemps, j’utilisais
ce terme avec la ferme conviction de l’avoir inventé. Mais, après
avoir lu bon nombre de ses ouvrages, il n’est pas difficile
d’admettre que Roustang avait perçu depuis fort longtemps
l’intelligence du corps, concept qui s’est ensuite distillée
dans ma mémoire comme une évidence au point de l’adouber
inconsciemment. Roustang avait saisi qu’il était salutaire
d’abandonner le langage et ses limites pour revenir à une syntaxe
plus fondamentale, c’est-à-dire celle du corps.
Quand on y pense, quelle audace et quel chemin parcouru par ce
grand homme. Ancien Jésuite, il avait probablement écarté le corps
– héritage aristotélicien oblige – pour s’en remettre à
l’esprit. Lorsqu’il devint ensuite psychanalyste, il continua de
placer la psyché au centre de ses préoccupations. Mais la curiosité
de François Roustang ne pouvait se contenter d’en rester là. Et
c’est grâce aux apports de l’hypnose qu’il a su désapprendre :
c’est-à-dire écarter l’esprit pour le redéfinir comme le
simple reflet d’un corps pensant ou plutôt ressentant.
Iconoclaste, drôle et érudit, François Roustang nous quitte en laissant un héritage
considérable dans le domaine de l’hypnothérapie moderne. Héritage
complexe dont le déchiffrage révélera peut-être d’autres idées
et interprétations, à l’instar de son dernier ouvrage Le
secret de Socrate pour changer la vie, paru
aux éditions Odile Jacob en 2009.