dimanche 25 décembre 2016

Hommage à François Roustang

Ces quelques paragraphes ne sauraient être à la hauteur de l’excellent article d’Antoine Bioy publié sur le site de l’Institut Français d’Hypnose, mais il me semblait important d’ajouter quelques réflexions personnelles sur le personnage de François Roustang.
L’hypnothérapie est aujourd’hui une discipline reconnue, enseignée et pratiquée dans les champs de la thérapeutique et de la médecine. Cependant, dans les années 80 son utilisation restait marginale, car personne n’était – pas plus qu’aujourd’hui – en mesure d’expliquer scientifiquement, imagerie à l’appui, son fonctionnement
Faisant fi de ce handicap, l’hypnothérapie a su se frayer un chemin dans une jungle thérapeutique. Sans l’appui de réelles études cliniques, sachant combiner subtilité et polymorphisme, elle est devenue ce qu’elle est aujourd’hui : une pratique reconnue et enseignée en faculté de médecine.
Roustang en serait-il l’instigateur ?
Dans le domaine de l’hypnothérapie François Roustang faisait figure d’OVNI, car depuis les travaux d’Erickson, il avait réussi à en dépasser les limites. Alors qu’il aurait pu se contenter d’appliquer les recettes issues du riche corpus développé par le psychiatre de Phoenix, il a su « désapprendre » pour découvrir la pertinence d’un corps dont la substance intelligente fabriquerait la pensée.
Bon nombre d’hypnothérapeutes, et moi le premier, devraient avoir l’honnêteté de le reconnaître : pendant que nous continuons de demander à nos patients de s’installer sur un confortable fauteuil pour entamer la séance, Roustang pouvait soigner une personne en lui demandant simplement si elle ressentait quelque-part dans son corps un lieu où pouvait se manifester la genèse de son problème. François Roustang faisait cela naturellement, alors que le patient était assis sur une chaise, sans passer par la case fauteuil et encore moins celle de la sacro-sainte détente.
Était-il le premier à avoir constaté que la posture et les sensations définissaient à elles seules la possibilité d’un changement ? D’un point de vue occidentale assurément. Les orientaux l’avaient compris depuis longtemps. Nous savons aujourd’hui que la méditation donne lieu à une meilleure santé mentale et physique. Et qu’est-ce que la méditation si ce n’est une redescente dans le corps et toutes ses sensations ? Pourrions-nous alors supposer qu’être seulement là, selon les termes de Roustang, serait une autre façon de définir la méditation ? En outre, malgré une courte disparition des écrans radars lors de la Révolution Culturelle, le Qi Gong est aujourd’hui fermement reconnu et enseigné par la médecine chinoise. Et qu’est-ce que le Qi Gong si ce n’est la recherche de la posture idéale ?
Il m’arrive souvent de parler de l’intelligence du corps à mes patients. Je le fais pour les aider à dépasser le champ de la pensée pour dissoudre un mal-être. Pendant longtemps, j’utilisais ce terme avec la ferme conviction de l’avoir inventé. Mais, après avoir lu bon nombre de ses ouvrages, il n’est pas difficile d’admettre que Roustang avait perçu depuis fort longtemps l’intelligence du corps, concept qui s’est ensuite distillée dans ma mémoire comme une évidence au point de l’adouber inconsciemment. Roustang avait saisi qu’il était salutaire d’abandonner le langage et ses limites pour revenir à une syntaxe plus fondamentale, c’est-à-dire celle du corps.
Quand on y pense, quelle audace et quel chemin parcouru par ce grand homme. Ancien Jésuite, il avait probablement écarté le corps – héritage aristotélicien oblige – pour s’en remettre à l’esprit. Lorsqu’il devint ensuite psychanalyste, il continua de placer la psyché au centre de ses préoccupations. Mais la curiosité de François Roustang ne pouvait se contenter d’en rester là. Et c’est grâce aux apports de l’hypnose qu’il a su désapprendre : c’est-à-dire écarter l’esprit pour le redéfinir comme le simple reflet d’un corps pensant ou plutôt ressentant.
Iconoclaste, drôle et érudit, François Roustang nous quitte en laissant un héritage considérable dans le domaine de l’hypnothérapie moderne. Héritage complexe dont le déchiffrage révélera peut-être d’autres idées et interprétations, à l’instar de son dernier ouvrage Le secret de Socrate pour changer la vie, paru aux éditions Odile Jacob en 2009.