vendredi 6 septembre 2019

Hypnose versus Placebo


La médecine officielle a à sa disposition toutes sortes de techniques et une grande quantité de remèdes dont les plus courants sont les médicaments. Si l’on fait exception du Mediator et autres scandales sanitaires, l’industrie pharmaceutique respecte les réglementations lorsqu’il s’agit de mettre un nouveau médicament sur le marché. Les processus qui conduisent à l’élaboration de celui-ci prennent parfois plusieurs années. Les essais cliniques ne peuvent se faire qu’après une autorisation délivrée par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de Santé (ANSM). Notez que lorsque ce médicament est destiné à être distribué en Europe, la validation se fera par l’European Medicine Agency (EMA).

Pour évaluer l’efficacité d’une molécule, les laboratoires utilisent des protocoles, c’est-à-dire des procédures qui encadrent les essais randomisés et les groupes de contrôle. Certaines personnes prendront un placebo pendant que d’autres prendront le vrai médicament, c’est-à-dire la substance active. Évidemment, les personnes prenant un placebo ne le savent pas, pas plus que la personne qui leur a administré. C’est ce que l’on appelle le double aveugle. On avait en effet remarqué que si la personne administrant le médicament savait qu’il s’agissait d’un placebo, elle pouvait le signifier inconsciemment et ainsi biaiser les résultats.
Ces tests sont très importants, car ils permettent de voir si le principe actif est efficace ou non. Normalement, tous les laboratoires doivent passer par là avant une autorisation de mise sur le marché (AMM). Néanmoins, il existe des laboratoires qui ne suivent pas le protocole comme il le faudrait, et c’est pourquoi beaucoup de médicaments en circulation aujourd’hui n’ont pas plus d’effet qu’un placebo. C’est le cas notamment de l’homéopathie, sujet controversé qui divise le monde des soignants. Le fait est que l’homéopathie fonctionne, mais les études réalisées sèment le doute sur un possible effet placebo ou non.


À l’instar de tous les soins qui se veulent sérieux, l’hypnose ne saurait se soustraire à ces évaluations. L’INSERM a d’ailleurs, dans son rapport rendu en 20151, soulevé cette question. Comment évaluer l’hypnose ?

Dans ce rapport, le Professeur Arnaud Fauconnier estime que les meilleures études ont consisté à des placebos « d’attention bienfaisante », c’est-à-dire des phases d’échanges avec un professionnel d’une durée équivalente à celle de l’hypnothérapie du groupe intervention. Évaluer l’hypnose reste cependant délicat tant le nombre de variables est important : formation du thérapeute, lieu, ton utilisé, durée de la thérapie, état mental du thérapeute, état mental du patient, moment de la journée, attentes, etc. En outre, il me semble cocasse de devoir évaluer une technique qui s’appuie en partie sur le placebo pour la confronter à un autre placebo. Le Docteur Jean-Marc Benhaïem, toujours dans le rapport ISERM, parle de Placebo Versus Placebo. Nous pourrions par exemple imaginer qu’une séance d’hypnose soulage autant les migraines qu’un médicament placebo.

L’efficacité de l’hypnosédation est plus facile à démontrer dans la mesure où l’on peut confronter un groupe hypnose versus un groupe ayant pris un sédatif. Dans ces cas précis, l’efficacité de l’hypnose est avérée. En outre, si les tests démontrent que l’hypnose produit quelques effets, certes amoindris comparés aux effets sédatifs, l’équipe pourra privilégier l’hypnose pour réduire le traitement initial. Cela est pratiqué pour les soins ambulatoires. À l’époque où j’intervenais en dermatologie au CHU de Rouen, l’équipe soignante privilégiait souvent l’hypnose plutôt que de recourir à des protocoles plus lourds : Atarax2, Kalinox3, surtout lorsqu’il s’agissait d’enfants. Cela leur permettait de repartir ensuite sans être shootés par les traitements sédatifs et anesthésiants.

L’efficacité de l’hypnose commence donc à être étayée par des études notamment américaines. Mais à ce jour, la preuve objective de son efficacité n’a pu être avérée que dans des domaines précis : hypnoanalgésie, hypnosédation. Le rapport de l’INSERM cité plus haut donne quelques recommandations pour l’élaboration de protocoles adaptés à la singularité de l’hypnose. En attendant, la littérature scientifique et médicale comprend des centaines d’essais cliniques évaluant l’hypnose (toute forme d’hypnose, qu’elle soit utilisée à visée antalgique, sédative ou psychothérapeutique). Plus de 300 essais contrôlés randomisés et plus de 80 revues systématiques ou méta-analyses sont indexés dans la base de donnée Medline sous le mot clef « hypnosis [MeSH Major Topic] ». La Collaboration Cochrane, organisation internationale sans but lucratif, conçoit et maintient à jour des revues systématiques d’essais randomisés sur les traitements de soins de santé. Les revues Cochrane sont internationalement reconnues pour leur qualité4


Pour conclure, la mise en place de protocoles d’évaluation reste une gageure pour le corps scientifique et médical. En effet, du fait de la complexité des variables et des paramètres à inclure dans l’étude, la validité d’un protocole prendra du temps avant de faire consensus dans le domaine médical et scientifique. Néanmoins, la communauté pourra s’appuyer sur les observations relevant de l’imagerie médicale, notamment la TEP5. Depuis une dizaine d’années, l’imagerie s’intéresse de près à l’hypnose au même titre que la méditation. Les spécialistes travaillant sur l’hypnose ont très probablement commencé à explorer des pistes à partir de toutes ces données issues de l’imagerie. Toutes ces observations constituent donc un corpus non négligeable qui permettra, à terme, d’élaborer des protocoles fiables.

1INSERM U1178 juin 2015. Évaluation de l’efficacité de la pratique de l’hypnose.
2Antihistaminique ayant un effet relaxant.
3Protoxyde d’azote, gaz hilarant.
4(Jadad, Cook et al. 1998) (Olsen, Middleton et al. 2001) (Moher, Tetzlaff et al. 2007) (Popovich, Windsor et al. 2012)
5Tomographie par émission de positrons.