lundi 7 mars 2022

Coaching de vie, développement personnel : attention danger !

Aujourd’hui je sors des sentiers battus pour parler coaching et développement personnel. Quels rapports avec l’hypnose me direz-vous ? Eh bien dans la mesure où le développement personnel et le coaching utilisent des techniques d’hypnose, il me semblait important – et urgent, d’aborder ce sujet sensible.

Les liens vers les sources se trouvent en fin d’article.

 

 Photographic postcard of ventriloquist Alan Stainer of 'The Gaieties'. (Aucune restriction de droit d'auteur)

Avant de commencer, il me paraît utile d’apporter quelques petites précisions : cet article ne concerne pas le coaching sportif qui est une discipline spécifique à part entière. Par ailleurs, il n’est pas question de dépeindre tous les coachs et spécialistes en développement personnel comme des personnes malhonnêtes. La plupart du temps, le métier est exercé en toute bonne foi par des coachs désintéressés. Pour autant, ces disciplines sont un peu trop souvent – à l’instar de l’hypnose, noyautées par des personnes opportunistes et malveillantes. L’arnaque et la manipulation ne sont donc jamais à exclure.

Vous avez tous entendu parler du phénomène coaching dont les offres sont pléthoriques sur les réseaux sociaux. Quant au développement personnel, je suis dernièrement passé à la FNAC de Rouen et j’ai pu constater que le rayon s’était considérablement enrichi. Enfin sur le net, si vous tapez développement personnel et coaching, vous serez surpris par la somme des résultats.

Pour commencer, il n’est pas facile de faire la différence entre coaching et développement personnel. Même les sites spécialisés peinent à faire le distinguo. D’autres, sans doute plus pragmatiques, ont carrément fusionné les deux en proposant des formations de coaching en développement personnel.

Sur la plupart des sites proposant des solutions de coaching, nous retrouvons l’inévitable jargon euphémisé et les lieux communs habituellement utilisés pour dissimuler des concepts creux et ineptes.

Voici un petit extrait trouvé sur un site :

« Les sociétés modernes semblent avoir basculé depuis quelques décennies dans une crise existentielle au regard des bouleversements provoqués par la mondialisation et aux révolutions sociétales et économiques qui en découlent. Le salarié est sollicité à travers plusieurs prismes : course au résultat immédiat, pressions hiérarchiques croissantes, plans sociaux, complexité technologique, collusion des domaines professionnel et privé… les difficultés ne manquent pas ! »

Vous avez là un magnifique étalage de truismes – technique également utilisée en hypnose conversationnelle. Qui irait contester que la mondialisation – comprendre économique, a bouleversé nos sociétés et notamment le monde de l’entreprise ? Pour ma part, je reçois dans mon cabinet de nombreux patients qui se disent malmenés par un management mondialisé où il faut remplir des objectifs toujours plus ambitieux. Effectivement, comme le dit le texte, les difficultés ne manquent pas. Cependant, la réponse du coaching et du développement personnel, en flirtant avec le champ lexical de la bienveillance, n’ont d’autre but que de pousser le client à se mettre au diapason des exigences professionnelles mondialisées. Traduire : oubliez l’absurdité du système. Le problème c’est vous ! Grâce à notre méthode, vous allez pouvoir optimiser votre rendement.

Deuxième extrait :

« Dans le champ professionnel, ne parle-t-on pas de Ressources Humaines ? Tout comme les ressources terrestres qui sont à la fois exploitées, protégées, utilisées et recherchées pour leurs valeurs, l’humain est l’élément indispensable à la croissance et à l’existence même de l’entreprise. »

Pour reprendre le vocabulaire des 20-30 ans, cette phrase est un magnifique combo. Poussant insidieusement le client à se soumettre un peu plus à la dictature du tableau Excel. Le terme ressources humaines est déjà un bel euphémisme, et si de surcroît on compare l’humain à des ressources terrestres, on franchit un cap vers le cynisme absolu. À quand le minage d’êtres humains ? Pour ce qui est de l’épanouissement, on repassera.

Pour se donner plus de sérieux, les offres de coaching et de développement personnel sont toujours accompagnées de témoignages enthousiastes. Ici ce sera un commentaire sur les objectifs qui ont explosés en un temps record et là, on verra la vidéo d’une jeune femme comblée, parce qu’elle a multiplié son chiffre d’affaires par cinq en un mois. Il faut reconnaître que le storytelling de ces vidéos est parfaitement rôdé. On insiste sur le succès de gens que rien ne prédisposait à réussir, un peu comme dans les minis conférences Tedx dont certaines sont très discutables. Je ne résiste pas au passage à évoquer l’excellente mini conférence TedX de Thomas C. Durand qui invite son auditoire à se méfier des conférences… TedX.

Pour en revenir aux témoignages sur le coaching, il est difficile de vérifier s’ils disent vrai. Cependant, gardez toujours dans un coin de votre tête qu’un, voire dix témoignages, ne sauraient constituer une preuve scientifique tangible.

Voici un exemple de témoignage :

« La société de coaching X m’a permis de me centrer sur un objectif, de m’engager à le réaliser en étant soutenue dans ma démarche par un travail méthodologique de mise en place d’actions basées sur mes forces et mon potentiel d’amélioration… »

Comprendra qui pourra cet assemblage de mots en phrases à tiroir qui ne veulent pas dire grand-chose si ce n’est que tout être humain est optimisable (pour reprendre un néologisme cher au coaching). Au passage, on notera que le sacro-saint objectif est maintenu.

En plus des témoignages, et pour se donner un peu plus de crédibilité, les coachs mettent en avant des diplômes et certificats. La plupart du temps, les liens cliquables sous ces titres ne sont pas actifs ou bien renvoient vers des organismes privés qui n’ont aucun lien avec les universités. Le seul titre universitaire que j’ai trouvé est un certificat universitaire CU délivré par l’Université de Lille, mais il ne s’agit pas d’un diplôme à proprement parler. Au passage, j’ai trouvé assez amusant de tomber sur des sites de coaching qui mettent en garde contre les manipulations mentales. On pourrait se sentir rassuré. Mais pas longtemps, parce qu’en fouillant un peu, on découvre qu’ils promeuvent la physique quantique et la neurogenèse. Ces mots sont aux antipodes du coaching et du développement personnel. D’ailleurs, dès que quelqu’un évoque un soin, une thérapie ou une psychothérapie à base de physique quantique, je vous conseille de tourner les talons.

En tapant « coach » sur le site du Pôle Emploi, celui-ci affiche trois réponses :

- développement des ressources humaines ;

- coach sportif ;

- développement personnel et bien-être de la personne (ROME : K1103).

La fiche développement personnel et bien-être de la personne renvoie vers une liste assez longue d’organismes de formation avec des intitulés surprenants tels que : réflexologie plantaire, naturopathie, aromatologie et praticien en PNL. Cela pose au passage la question du captage des financements du CPF (Compte Personnel de Formation) par une myriade d’organismes plus ou moins sérieux voire carrément sectaires.

Dans l’introduction, j’expliquais que les coachs et les spécialistes en développement personnel n’étaient pas systématiquement malhonnêtes. Les coachs sont généralement des personnes de bonne foi. D’ailleurs, les principales victimes sont bien souvent les coachs eux-mêmes. Après avoir payé des fortunes en formations, ils sont jetés dans la nature et rencontrent souvent des difficultés pour vendre leurs services. Au passage, je vous recommande l’excellente vidéo du youtubeur G. Milgram sur le coaching pyramidal.

Mais est-ce qu’objectivement, le coaching ça marcherait pas un peu quand même ?

Avant de répondre, je rappelle que l’activité de coaching n’est pas réglementée même si des efforts sont faits en ce sens. Si vous lisez un bouquin sur le coaching, vous pouvez légitimement devenir coach professionnel. C’est aussi simple que ça. C’est l’occasion pour moi de rappeler que c’est exactement la même chose pour l’hypnose. En outre, le coaching n’est pas une discipline scientifique. Les arguments scientifiques que pourraient avancer les coachs ne sont donc, jusqu’à preuve du contraire, pas recevables. Son efficacité n’a jamais été évaluée ni quantifiée, quand bien même de nombreux témoignages prétendent le contraire. Tous les récits vantant les succès du coaching sont produits par des personnes qui ont été coachées et qui sont coachs elles-mêmes. Il est donc difficile d’accorder du crédit à des personnes qui sont à la fois juges et parties. Il serait intéressant de recueillir le témoignage de tous les anciens coachés dont beaucoup n’ont vu aucun changement à la suite de leur suivi, de leur stage ou de leur webinaire.

Parfois, un peu de bon sens suffit pour détecter l’arnaque. Si on vous propose un stage d’une semaine pour décupler votre chiffre d’affaires alors oui, vous avez toutes les raisons de penser que c’est du pipeau.

Cependant, revient souvent cette histoire de léger changement pendant l’encadrement en tête à tête. Même si à fortiori ça ne tient pas à long terme, il y a bien quelques clients satisfaits non ?

Vous êtes vous jamais demandé pourquoi un enfant désordonné se mettait à ranger sa chambre quand ses parents lui mettaient un peu de pression ? Pourquoi un·e ado détestant les maths se mettait à avoir la moyenne parce qu’on lui donnait des cours particuliers ? Pourquoi, se promener avec un·e ami·e, pouvait nous regonfler le moral ? Ou enfin, combien une relation amoureuse pouvait nous redonner un sentiment de confiance ?

Tous ces exemples ne relèvent pas d’une quelconque science, pas plus que de concepts hyper sophistiqués. Ce sont tout simplement des archétypes (rien à voir avoir avec Karl Jung) qui sont le propre des relations humaines. Relations où le rapport à l’autre peut produire du changement et qu’importe le mode opératoire : la pression, l’éducation, l’exemple, le plaisir, l’amour et bien d’autres. Je me souviens d’un long trail en plein hiver. Nous avions déjà parcouru une quarantaine de kilomètres et je n’avais plus de forces. Il gelait et ma seule motivation était d’arrêter la course pour m’allonger au milieu de nulle part. Ce qui n’arriva pas fort heureusement. Parce que mon coéquipier m’a parlé jusqu’à ce que nous franchissions la ligne d’arrivée. Ce fut certes une forme de coaching sportif, mais l’hypnose conversationnelle de mon ami aura produit ses effets. Les exemples d’accompagnements réussis ne manquent pas en dehors du coaching. Vous en avez certainement déjà fait l’expérience.

Les techniques utilisées en coaching ne sont pas formalisées et peuvent provenir d’univers complètement différents. Disons succinctement que de nombreux coachs vont utiliser un peu d’hypnose conversationnelle, de PNL, un brin de psychologie, de verbalisation (en d’autres termes, cette bonne vieille parole qui soulage), d’EFT (Emotional Freedom Technique, pratique sans fondement scientifique), de massages (avec les risques d’abus que l’on connaît), de méditation pleine conscience, de pensée positive, lois de l’attraction, chamanisme, lithothérapie… La liste n’est évidemment pas exhaustive, mais on y décèle un gros recyclage de la pensée New Age avec son lot de biais comme l’appel à la nature, l’appel à l’exotisme (la médecine chinoise), l’usage de concept qui n’ont rien à voir (vous reprendrez bien encore un peu de physique quantique), une dose sagesse ancienne… Les accords Toltèques sont certes intéressants sur le papier, mais je ne vois pas en quoi ils vous permettraient de gagner 10 000 euros en 15 jours. Enfin, notez que le terme holistique devrait vous mettre la puce à l’oreille. L’approche holistique, très appréciée par les milieux sectaires, ne veut pas dire grand-chose, sauf à épater la galerie.

Je reviens sur l’hypnose, car c’est un point qu’il me faut développer. Étant hypnothérapeute, je ne peux que constater ses effets sur certains de mes patients. Je précise certains, car il serait malhonnête d’occulter les échecs. Oui, ils existent ! En premier lieu, pour ce qui concerne les effets antalgiques et analgésiques de l’hypnose, ils ont été validés par une étude de l’INSERM. Quant aux effets psychothérapeutiques, ils sont observables, mais plus difficiles à valider scientifiquement. Quoi qu’il en soit, retenez que l’hypnose ne peut pas transformer radicalement les gens en en faisant des battants. Elle permet tout au plus de corriger certains comportements et situations de blocage, ce qui est déjà pas mal. Notez que ces blocages et comportements peuvent par ailleurs se corriger assez naturellement sans que vous n’ayez besoin de passer par l’hypnose.

Pour ce qui est de la PNL (Programmation Neuro Linguistique), tout hypnothérapeute ou coach sérieux ne devrait plus l’utiliser. Conceptualisée dans les années 70 aux USA, elle a réussi à se glisser dans le champ de la cybernétique (école de Palo Alto) aux côtés de pratiques sérieuses comme les thérapies systémiques et familiales. Dans les années 2000, les stages de PNL ont eu un franc succès, notamment dans les entreprises. Tout le monde se formait à la PNL même si au final, personne n’arrivait pas à la comprendre. Aujourd’hui, la PNL fait encore des émules et de trop nombreux hypnothérapeutes l’utilisent toujours.

Reste enfin les livres et manuels de développement personnel qui occupent une place non négligeable dans les librairies. La plupart du temps, ils peuvent donner quelques clés au lecteur qui pourra y puiser des concepts qui l’aideront dans sa vie professionnelle ou privée. Néanmoins, je me suis toujours demandé pourquoi toute cette littérature envahissait les librairies alors que parallèlement, les gens se plaignent de ne plus arriver à donner du sens à leur existence. Est-ce un réel apport, ou bien une opération purement marketing ?

Conclusion

Après avoir succinctement survolé le coaching et le développement personnel. Je devrais être en mesure de me poser les bonnes questions sur l’efficacité de cette pratique. Mais la réponse n’est pas simple. Car l’accompagnement n’est jamais sans effet et il y a sans aucun doute des clients qui sont satisfaits de la prestation. Sans oublier que de nombreux coachs sont bienveillants et beaucoup souhaitent voir la profession se réglementer – tout comme la profession d’hypnothérapeute. Pour autant, il suffit de consulter les nombreux sites de coaching pour faire le constat qu’il y a encore beaucoup de travail pour assainir la profession. C’est ce flou qui a motivé le titre de cet article, car indéniablement, le coaching peut donner lieu à des actes malveillants et sectaires. Pour s’en convaincre, il suffit de faire un tour sur le site de la MIVILUDES (Mission Inter-Ministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires). Gardons à l’esprit que les personnes coachées peuvent parfois se trouver dans des états de fragilité psychologique, ce qui les rend vulnérables aux procédés manipulatoires. Le nier serait une erreur. Cela explique en partie pourquoi certaines victimes peuvent dépenser des fortunes en stages de perfectionnement. Dans un article paru sur le site de France-Culture en 2018, on peut lire que des personnes sont capables de dépenser jusqu’à 20 000 euros pour des stages approfondis. Jean-François Amadieu, sociologue spécialiste des relations au travail, auteur de DRH : le livre noir (Seuil), évoque des « tas d’organismes qui vendent des formations à l’ésotérisme, à des techniques complètement irrationnelles comme la numérologie ou l’astrologie… ». J’ajoute que depuis la généralisation du CPF, toutes sortes d’organismes sont à l’affût de cette manne financière qui peut facilement gonfler leur chiffre d’affaires.


Si vous avez un peu de temps, je vous invite à écouter l’excellent podcast produit par Elizabeth Feytit dans son émission Méta de Choc : Coaching, l’eldorado de la manipulation mentale.

Cette émission de trois heures est scindée en trois épisodes. Vous y entendrez le témoignage édifiant de Rémi Rivas, consultant en design, marketing et innovation. Rémi décortique et raconte son périple aux État-Unis pour assister à un séminaire de coaching de quatre jours. La star de ce séminaire est un coach bien connu dont Rémi n’a pas voulu révéler le nom. Vu la fortune et la renommée du bonhomme, on peut supposer qu’il peut s’offrir des bataillons d’avocats teigneux. Cependant, si vous tapez coaching sur Netflix, vous serez sur la bonne piste. Rémi assiste donc à ce séminaire pendant lequel, au prétexte de se faire instruire sur les meilleures astuces pour réussir dans la vie dont la PNL, on lui lave le cerveau avec des techniques qui feraient pâlir de jalousie le régime nord-coréen : journées longues et éreintantes, musique et bruits constants, repas rendus difficiles pendant le temps des conférences, scénographie spectaculaire… Quatre jours où Rémi raconte qu’il finit par entrer dans un état de confusion totale - de transe hypnotique ? Confusion dont il parviendra momentanément à s’extraire pour réaliser que ce séminaire n’est rien d’autre qu’une énorme opération marketing destinée à vendre toutes sortes de stages et produits étroitement liés à la culture New Age. En d’autres termes, les clients payent très cher pour repartir les bras chargés de produits qu’ils n’avaient pas l’intention d’acheter en arrivant sur place.

En France, de tels gourous commencent à se manifester. L’article de France-Culture parle d’un certain David Laroche pouvant réaliser jusqu’à 400 000 euros de chiffre d’affaires pour un stage de 5 jours. La tendance du coaching n’est donc plus anecdotique et comme je le soulignais un peu plus haut, elle s’est largement invitée dans le monde professionnel. Ce qui n’a rien d’étonnant à une époque où la compétition et le challenge sont devenus un culte dans les entreprises. On comprend pourquoi le coaching n’a pas eu besoin de mettre le pied dans la porte.


Sources :

Certificat Universitaire – Université de Lille.

https://formationpro.univ-lille.fr/fpr/cu-coaching-professionnel


Pôle Emploi : développement personnel et bien-être de la personne (ROME : K1103)

https://candidat.pole-emploi.fr/marche-du-travail/fichemetierrome?codeRome=K1103


Le biais du survivant – Youtube – Thomas C. Durand – conférence TedX

https://www.youtube.com/watch?v=Y8fO3e8P0_A


Coaching pyramidal – G. Milgram (Youtube)

https://www.youtube.com/watch?v=VcCGqQAbuL0&t=5 s


INSERM – Évaluation de l’efficacité de la pratique de l’hypnose – 2015

https://www.inserm.fr/rapport/evaluation-de-lefficacite-de-la-pratique-de-lhypnose-2015


France Culture : le coaching : une nébuleuse en proie à des dérives.

https://www.franceculture.fr/societe/le-coaching-une-nebuleuse-en-proie-a-des-derives


Site de la MIVILUDES

https://www.derives-sectes.gouv.fr


Méta de Choc : Coaching, l’eldorado de la manipulation mentale.

https://metadechoc.fr/podcast/coaching-eldorado-de-la-manipulation-mentale.




dimanche 7 novembre 2021

Le cinéma et les clichés sur l’hypnose

 




L’hypnose est un ingrédient assez souvent présent dans les productions cinématographiques et ce, depuis l’invention du cinéma. En 1922, le Docteur Mabuse de Fritz Lang usait de ses talents d’hypnotiseur pour séduire et manipuler une bourgeoisie allemande désœuvrée. En 1967, Disney s’attelle à l’adaptation du roman de Rudyard Kipling en mettant en scène le python Kaa, dont les yeux aux teintes psychédéliques hypnotisaient Mowgli. Plus tard en 1999, c’est le film Hypnose avec Kevin Bacon puis Trance, de Danny Boyle avec Vincent Cassel. La liste n’est évidemment pas exhaustive, car les films évoquant l’hypnose sont légion. Je ne peux au passage faire l’impasse sur Get Out de Jordan Peele qui est un excellent thriller social.

À ma connaissance, la plupart de ces films ne parviennent pas à éviter les clichés sur l’hypnose. Même le très bon Get Out de Peel n’y échappe pas en faisant de l’ancrage une arme absolue entre les mains d’un hypnotiseur tout puissant et malintentionné. Dernièrement, Netflix proposait un film intitulé Hypnotic avec Kate Siegel, actrice que j’avais repérée dans les très bonnes séries écrites par Mike Flanagan – the Haunting of Hill House, The Haunting of Bly Manor et Midnight Mass. Malheureusement, le film Hypnotic collectionne les pires clichés sur l’hypnose et l’intrigue cousue de fil blanc n’arrive pas à relever le niveau. Pour autant, ce film a eu énormément de succès sur la plate-forme de streaming. Comment expliquer ce phénomène ? Probablement en raison de l’image surnaturelle de l’hypnose véhiculée par le cinéma et la télévision. C’est un fait : l’hypnose fascine autant qu’elle effraie, et on comprend pourquoi certaines personnes pensent qu’elle puisse permettre de prendre le contrôle absolu sur une personne.

Get Out avait intelligemment exploré la technique de l’ancrage avec la scène de la cuillère qui tourne dans la tasse de thé. Sur ce point, l’idée n’est pas saugrenue en ce qu’elle s’appuie sur un ancrage auditif. Le bruit de la cuillère replongeant l’acteur Daniel Kaluuya en hypnose. Les hypnothérapeutes utilisent assez souvent l’ancrage qui est un processus naturel chez l’être humain. La Madeleine de Proust est une définition littéraire assez poussée de l’ancrage, mais l’exemple le plus simple est l’ancrage qui permet de ramener un patient vers un souvenir agréable de son enfance ou vers un lieu idéal et sécure. Cette technique est très efficace pour aider les patients stressés avant un examen ou pour favoriser l’endormissement. Cependant, il est utile de préciser que l’ancrage n’est pas une arme absolue. D’une part, parce qu’un ancrage est souvent limité dans le temps et ses effets finissent par s’estomper, sauf si le patient l’entretien en pratiquant assidûment l’auto-hypnose. Dans ce cas, il pourra le renforcer ou fabriquer ses propres ancrages. D’autre part, parce qu’un ancrage n’est jamais suffisamment puissant pour obliger quelqu’un à faire quelque chose qu’il ne souhaiterait pas. Cela veut dire qu’en dehors de la fiction, quelqu’un ne peut être sous la contrainte totale d’un hypnotiseur malveillant. Dans la vraie vie, l’hypnothérapeute du film Hypnotic ne parviendrait pas à prendre le contrôle de sa patiente et encore moins la forcer à commettre des actes qui la mettraient en danger. Les clichés ont pourtant la vie dure et il m’arrive assez souvent de recevoir des patients qui m’expliquent avoir longuement hésité avant de venir en consultation du fait des avertissements de leur entourage sur les dangers de l’hypnose. Bien souvent, j’utilise la plaisanterie pour désacraliser cette vision des choses en expliquant que si un tel pouvoir existait, il me suffirait de fabriquer un ancrage auprès de mon banquier pour effectuer ensuite des retraits qui ne seraient pas débités de mon compte. Malgré ces propos rassurants, le doute persiste et on ne peut que faire le constat d’une image de l’hypnose en décalage avec la réalité : image véhiculée par des films misant sur le spectaculaire pour ne pas dire le surnaturel. Cela ne manque pas d’ironie, quand on sait que le monde de la communication et notamment celui de la publicité maîtrise parfaitement les neurosciences pour influer nos décisions. On parle alors de neuro-marketing. Ce même neuro-marketing dont l’efficacité est décuplée lorsqu’elle est couplée à un profilage assez fin grâce aux données récupérées sur les réseaux sociaux. Dans ce cas, nul besoin d’hypnose pour guider une décision ou inciter à acheter tel produit plutôt qu’un autre. Quand bien même vous connaissez les techniques de manipulation mentale, vous vous ferez avoir.

Enfin, les films sur l’hypnose véhiculent souvent l’idée que celle-ci permettrait de faire ressurgir des souvenirs enfouis. Sous la conduite d’un hypnotiseur, le patient est susceptible d’accéder à des souvenirs cachés, la plupart du temps traumatisants. Grâce à ces « souvenirs » retrouvés, le patient va enfin pouvoir résoudre ses problèmes et remettre de l’ordre dans sa vie. Dans les années 70 cette croyance était malheureusement partagée par beaucoup de juges américains, au point d’envoyer pas mal d’innocents en prison. En toute bonne foi, les témoins étaient mis sous hypnose et rapportaient de faux souvenirs, soit inventés, soit suggérés involontairement lors des interrogatoires de la police. Il aura fallu les travaux de chercheurs, notamment ceux d’Elisabeth Loftus, pour comprendre que le fonctionnement de la mémoire était bien plus complexe, pour ne pas dire subtil. La mémoire humaine est dynamique, dépendant de nombreux processus complexes de perception et d'encodage, de stockage puis d'accessibilité et de rappel de l'information. Non, l’hypnose ne permet pas d’accéder à des souvenirs cachés précis. Elle peut tout au plus faire remonter des fragments qu’il faudra manipuler avec précaution, car bien souvent restitués avec pas mal d’erreurs.

Pour aller plus loin sur les faux souvenirs :

https://www.afis.org/Hypnose-et-faux-souvenirs


mercredi 7 avril 2021

L'hypnose c'est (pas toujours) sérieux !

Il n’est pas facile d’avoir une idée précise de la pratique de l’hypnose médicale en France. Si les milieux hospitaliers l’ont intégrée dans des protocoles anesthésiques, notamment pour des interventions en ambulatoire et pour le traitement de la douleur, il est plus difficile de savoir ce qu’il en est de l’hypnose en cabinet, autrement appelée hypnose de ville.

 



 

 

De plus en plus d'offres

Les cabinets d’hypnose se sont multipliés ces dix dernières années. Au départ, ils étaient surtout présents dans les grandes et moyennes agglomérations, mais ils ont commencé depuis peu à s’implanter dans des villes de moins de 5000 habitants. Pour ce qui concerne l’agglomération d’Elbeuf – lieu où j’exerce – on dénombre pas moins de 10 hypnothérapeutes.

On pourrait évidemment se réjouir d’une offre pléthorique, sauf que se pose encore et toujours la question de la qualité du soin et de l’honnêteté du praticien.

Pour ceux qui l’ignorent, je rappelle que la pratique de l’hypnose n’est pas réglementée en France. Il existe bien quelques syndicats et associations qui essayent de s’y atteler pour définir une offre de qualité, mais le chantier est tellement énorme que pour l’instant, la réglementation de l’hypnose reste un serpent de mer. Alors en attendant de trouver un consensus, les bonnes et les mauvaises pratiques continuent de se télescoper.

Mais qu’entend-on par réglementation ? S’agit-il d’exclure tout praticien ne disposant d’aucune formation médicale ou paramédicale ? Et pour l’apprentissage ? Faut-il privilégier les centres publics de formation ou bien les instituts privés ?

Difficile de répondre.

Aller voir un docteur en médecine faisant de l’hypnothérapie ne garantit aucunement au patient un soin d’hypnose de meilleure qualité. On peut néanmoins se rassurer en considérant que le thérapeute appliquera la même éthique que pour un soin de médecine générale. Quant à l’hypnothérapeute qui n’est pas issu du monde du soin, il peut certes s’imposer une éthique, mais il n’en a pas réglementairement l’obligation. En cas de litige, il y a éventuellement possibilité de recourir à la justice, mais les juges sont assez rarement saisis dans les cas de manipulation.

Difficile dans ces conditions pour un patient de faire un choix. La plupart du temps, il préférera se rendre chez un praticien dont un ami ou un proche lui aura dit le plus grand bien. Là encore, une recommandation est rassurante, mais aucunement une garantie de qualité.

Nous venons de le voir, la profession n’étant pas – encore – réglementée, n’importe-qui peut lire un article sur l’hypnose et décider de poser sa plaque pour commencer à proposer ses services : c’est aussi simple que ça !

Comment alors caractériser une bonne d’une mauvaise pratique ? Doit-on privilégier le diplôme ? L’ancienneté ? Et comment savoir si un praticien est sérieux ?

Je sais que pour ma part, mes premiers patients ont essuyé les plâtres de mon manque d’expérience et de mes hésitations. Quand on débute, on tâtonne toujours sur la méthode et on hésite parfois sur le choix des techniques. Les hypnothérapeutes débutants vont se rassurer en ayant sous la main des scripts d’hypnose et des protocoles fléchés. La plupart de ces outils sont bien faits et ils sont même très utiles quand on débute. En ce qui me concerne, j’ai utilisé pas mal de scripts la première année de mon exercice. Cette personne a du mal à s’endormir, alors essayons la méthode décrite en page 35 du manuel. Cette autre personne a la phobie des chiens ? Voyons voir ce que pourrait donner la technique décrite page 63 ! Avec le temps, un bon praticien deviendra un expert du sur-mesure. L’expérience aidant, on finit par s’affranchir du prêt-à-porter et on expérimente de plus en plus de choses dont certaines seront redoutablement efficaces.

 

La formation

La pratique n’est pas l’unique critère. Il y a la question légitime de la formation. Depuis une vingtaine d’années, les centres de formation en hypnose se sont multipliés sur tout le territoire français. Certains sont privés et d’autres publics. Peu de gens le savent, mais les universités – et pas que les universités de médecine – forment à l’hypnose. Néanmoins, il existe une offre privée de qualité.

Si vous souhaitez vous former à l’hypnose, je conseillerais plutôt l’enseignement public. Mais parfois, il faut exercer une profession médicale ou paramédicale pour pouvoir s’inscrire. Dans ce cas, et ce fut le mien, il faut se tourner vers un centre privé, en espérant que la formation soit de qualité. Beaucoup le sont. Mais il existe de nombreux centres qui proposent de l’hypnose uniquement parce que c’est à la mode et qu’un nouveau modèle économique est en train de surgir. En général, il est assez facile de les démasquer. Car ils proposent des modèles de formations à tiroirs, tout simplement pour inciter le client à acheter non pas une, mais plusieurs formations. On commence gentiment par une formation de base, pour ensuite tenter de devenir hypnothérapeute confirmé, puis maître-hypnothérapeute et pourquoi pas - s’il vous reste un peu de monnaie, formateur hypnothérapeute. On croirait presque les formules reiki niveau 1, reiki niveau 2, 3 et ainsi de suite.

Je n’émets pas de jugement sur la qualité des formations dans ces centres. Elles sont certainement très bonnes, mais pourquoi dépenser des fortunes alors que les universités proposent des formations identiques pour un coût plus abordable ? Il est possible que certaines universités n’exigent pas de diplôme médical ou para médical pour s’inscrire. Enfin, il existe des centres qui prennent un peu l’exemple sur les universités pour proposer des formations longues, correspondant à une année universitaire. Cette manière de faire me semble assez cohérente.

Enfin, si vous souhaitez faire de l’hypnose de manière professionnelle et sérieuse de grâce, évitez les centres qui incluent de la PNL dans leurs formations. Je parlais plus haut de réglementation de l’hypnose, et l’allusion à la réglementation est d’autant plus pertinente que l’hypnose thérapeutique et / ou médicale doit prendre ses distances avec des pratiques qui ne font pas consensus dans les milieux scientifiques. La PNL en fait partie et je ne comprendrais pas que l’on cesse d’un côté de rembourser l’homéopathie pour de l’autre valider des pratiques relevant des pseudosciences.

Tout cela m’amène à aborder le dernier point : Comment faire de l’hypnose sérieusement ?

 

Hypnose sérieuse ou bullshit ?

(Bullshit, littéralement merde de taureau. Se dit de quelque-chose non fondé, foutaises)

L’hypnose est une pratique relativement nouvelle, multiforme, avec ses orientations, ses passions et naturellement ses démons. Elle fraye parfois avec des méthodes qui n’ont jamais été validées par la science, mais qui restent tenaces dans l’imaginaire collectif. Ainsi, il n’est pas rare de trouver des hypnothérapeutes qui sont également magnétiseurs. Personnellement, je pense qu’ils peuvent être d’excellents hypnothérapeutes pour soigner la douleur, mais je ne crois pas que l’imposition des mains y soit pour quelque-chose. Il existe en outre des hypnotiseurs quantiques dont la fonction est de vous permettre un rééquilibrage des particules élémentaires de votre physiologie. Dans ce cas, pas besoin de posséder un Prix Nobel de physique pour déceler l’arnaque, car le mot quantique est très souvent accolé à des thérapies douteuses uniquement pour leur donner un vernis scientifique voire high tech. Enfin, vous avez les hypnotiseurs qui vous permettent de voyager dans des vies antérieures, avec tous les risques d’emprise mentale que ça comporte, parce qu’une telle vision de l’hypnose confère au thérapeute une sorte de pouvoir magique. J'insiste beaucoup sur ce point, car en ces périodes où la pandémie de COVID 19 fabrique le doute, la méfiance, pour ne pas dire défiance à l'égard de la science, il convient d'être très vigilants face aux dérives thérapeutiques voire sectaires.

Personnellement, je n’ai rien contre ces croyances, et si je devais me fâcher avec tous les amis qui vont voir un magnétiseur ou un médium, mon entourage serait plutôt clairsemé. Et j’ajoute qu’elles ne sont pas systématiquement néfastes humainement parlant, je connais des rebouteux qui ne se font pas payer, ou très peu ; l’empathie et l’écoute étant des remèdes efficaces pour soulager certains troubles.

Pour autant, si l’hypnose médicale veut se trouver une plus grande légitimité et être plus largement reconnue, il est urgent qu’elle prenne ses distances avec certaines techniques. Les unes parce que rien ne prouve qu’elles fonctionnent, et les autres parce qu’elles font courir aux patients le risque de tomber sous l’emprise d’un gourou. Il est urgent de la rendre sérieuse en l’expurgeant de tout contenu douteux et non validé par la communauté scientifique. Cela ne voudra pas dire que l’offre combinant magnétisme et hypnose disparaîtra, mais cela permettrait aux patients de mieux sélectionner le type d’hypnose qu’ils veulent expérimenter, avec un fléchage officiel doublé d’une information cohérente et une réelle garantie de soins.



mercredi 2 décembre 2020

Ados et COVID 19 : une urgence psychiatrique


 

Tous les jours, je relève dans mes flux d’information des articles émanant de médias généralistes et spécialisés. Depuis octobre, je constate que les champs lexicaux liés à la psychiatrie sont en nette augmentation : santé mentale, mal-être, dépression post confinement, désespoir…

Le 23 mars 2020, Santé Publique France a lancé une enquête pour suivre l’évolution des comportements et de la santé mentale pendant l'épidémie de Covid 19. Cette enquête lancée auprès d’un échantillon de 2000 personnes de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine, va permettre en autre de capitaliser à long terme des connaissances sur les répercussions du Covid-19 en population générale, sur la santé mentale et d’autres comportements de santé (consommations de substances psychoactives, nutrition, activité physique)*.

Quelques conclusions ont d’ores et déjà été publiées sur le site Santé Publique France : « La santé mentale des Français, s’est significativement dégradée entre fin septembre et début novembre avec une augmentation importante des états dépressifs pour l’ensemble de la population (+10 points).

En plus de ce panel de 2000 personnes majeures, il serait utile d’ajouter des publics plus jeunes. Je constate en effet, au travers des échanges que je peux avoir avec mes patients mineurs, une très nette dégradation de leur moral. Comme une sorte de bruit de fond annonçant une catastrophe sanitaire inédite. Sans polémiquer sur la gestion de la crise sanitaire, je m’inquiète de la santé mentale des ados. L’adolescence, c’est la période complexe qui voit un remodelage total de certaines structures du cerveau. Votre ado de 16 ans est apathique ? C’est normal. Il se rebelle contre vos décisions ? Encore plus normal. Le remodelage du cerveau de l’adolescent le rend plus indépendant et prompt à prendre des risques. En outre, c’est l’âge où il va un peu délaisser les liens avec les parents pour donner plus d’importance à ses relations sociales. Celles qu’il aura choisies.

La crise sanitaire a fortement ralenti les interactions sociales. Et lorsque celles-ci sont possibles, les distances et / où le masque les rendent encore plus complexes. Ces jeunes se retrouvent ainsi brutalement stoppés dans la manifestation la plus élémentaire de l’adolescence. Bien sûr, certains d’entre eux arrivent parfois à transgresser les règles du masque et de la distanciation sociale, mais ces quelques espaces de liberté, aussi fugaces soient-ils, ne sont pas suffisants. On pourra rétorquer que les ados peuvent se retrancher sur ces réseaux sociaux qu’ils maîtrisent à la perfection. Cela est vrai dans une certaine mesure cependant, les réseaux sociaux ont leurs limites et cela, même les ados le savent.


Les témoignages des 15 – 18 sont particulièrement préoccupants.


« Pourquoi continuer de travailler à l’école ? Il y a les épidémies, la crise et le réchauffement climatique ! »

« Le soir je m’endors de plus en plus tard et le lendemain je suis éclatée au collège ! »

« Avec les copains c’est plus pareil. On peut plus s’approcher et le masque dissimule le visage ! »


En lisant plus finement l’étude de Santé Publique France, nous constatons que les hausses les plus importantes des états dépressifs ont été observées chez les plus jeunes (+16 points chez les 18-24 ans). On peut donc légitimement s’interroger sur le moral des 15 – 18 voire des plus jeunes. Comment les autorités publiques vont-elles réagir ?

À ce jour, nous ne possédons aucun protocole susceptible d’apporter un mieux être chez ces jeunes. Je parle d’un protocole spécifique qui tirerait les enseignements de l’épidémie, de l’impact de la distanciation sociale, du masque obligatoire, des attestations dérogatoires et des deux périodes de confinement.

Je m’interroge également sur les choix à venir dans l’Éducation Nationale. Saura-t-elle mettre en place des groupes où les jeunes pourront librement s’exprimer ? Seront-ils initiés aux techniques de méditation, de cohérence cardiaque et d’auto-hypnose ? Auront-ils un espace de liberté pour décrire la manière dont ils ont vécu le confinement et plus généralement l’épidémie ?

Rien n’est moins sûr. Car la France a cette spécificité qui lui fait plus souvent préférer la contrainte et la menace plutôt que la responsabilisation. Cette méfiance s’exerce dès l’école, où l’encadrement des ados est très codifié et où leur avis n’est que peu pris en compte.

Assurément, les enfants issus des milieux les plus favorisés pourront bénéficier d’un accompagnement et de soins, cependant que les enfants issus de milieux défavorisés ne pourront compter que sur des dispositifs dont la faiblesse est avérée.

Une fois encore, j’ose espérer que les autorités publiques sauront anticiper cette vague de mal-être. Mal-être qui ne sera peut-être pas perceptible dans l’immédiat. Faute de quoi, l’ambiance scolaire et le décrochage ne seront pas plus maîtrisables que la propagation de l’épidémie elle-même.

 

* https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/covid-19-une-enquete-pour-suivre-l-evolution-des-comportements-et-de-la-sante-mentale-pendant-l-epidemie 


Crédit photo : BiblioArchives / LibraryArchives

Ms. Jean McNiven, librarian, reading to a group of Grade Two pupils / Mme Jean McNiven, bibliothécaire, faisant la lecture à un groupe d’élèves de deuxième année

samedi 21 novembre 2020

Hypnose versus performance en entreprise.

 

 

Depuis que je pratique l’hypnose médicale, j’entends souvent mes patients évoquer toutes sortes de difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice quotidien de leur métier. Ici on parle de pression, là il s’agit de solitude, d’isolement, quand ce n’est pas tout simplement une situation conflictuelle avec un ou plusieurs collaborateurs.

Je ne possède pas les compétences sociologiques pour établir une analyse du monde du travail. Il existe cependant des études solides qui relatent le mal-être dans le milieu professionnel, pointent des méthodes managériales désastreuses, sans omettre le contexte socio-économique et sanitaire qui jette un voile d’incertitude sur l’emploi.

Sans intervenir directement sur le lieu de travail de mes patients, je me trouve parfois — par nécessité — obligé d’orienter mes séances autour du rapport qu’ils entretiennent avec leur milieu professionnel. Cet exercice est d’autant plus délicat que l’hypnose n’a pas vocation à analyser, mais à aider le patient à corriger la perception qu’il a de ses collaborateurs, de sa hiérarchie et plus généralement du microcosme dans lequel il évolue. Il ne m’appartient donc pas de juger par procuration tel ou tel collaborateur, mais plutôt de détourner mon patient de l’analyse qu’il fait de son environnement professionnel. Cet exercice est particulièrement ardu quand il y a malheureusement des comportements avérés de harcèlement et de dénigrement.

Alors, comment procéder sur la base d’un unique témoignage ?


J’ai écrit de nombreux articles sur l’hypnose et ce fameux lâcher-prise très à la mode dans les conversations. Cette expression est devenue une sorte de mantra, au même titre que la bienveillance. Elle s’est invitée dans les conversations et il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre quelqu’un conseiller à un proche de lâcher-prise. Pour autant, il n’est pas évident de définir ce mot composé, comme s’il s’agissait d’une formule extraite d’un grimoire un peu ésotérique. La plupart du temps, nous devinons qu’il est plaisant de lâcher-prise, sans trop savoir le mettre en œuvre.

Les anglo-saxons parlent d’acceptance, terme qui pourrait prêter à confusion, à moins de revenir à l’étymologie du mot et considérer qu’accepter une situation ne revient pas à se résigner. En effet, le Litré explique qu’accepter vient du latin acceptare, fréquentatif de accipere qui signifie recevoir. Recevoir et lâcher-prise sont ainsi deux manières de définir la même chose : plutôt que de se braquer et appliquer une réponse d’évitement, pourquoi ne pas laisser venir les choses telles qu’elles sont et laisser notre créativité configurer un autre comportement ? Pourquoi perdre de l’énergie devant un chef tyrannique ? Quelles autres solutions peuvent-être envisagées ?

Ce n’est pas au thérapeute d’apporter ces réponses, mais assurément elles existent.


Le harcèlement est certes une réalité dans le milieu professionnel, mais il existe de nombreuses situations où le terme harcèlement est utilisé à tort. Je parlerais plutôt d’incompréhension.

La langue française est précise, mais elle ne met pas à l’abri de quiproquos qui peuvent générer des tensions voire des conflits. Une remarque sera bien acceptée par ce collaborateur, alors qu’elle sera très mal perçue par un autre. Pourquoi ?

Gardons toujours à l’esprit que notre représentation du monde est subjective et qu’elle ne retranscrit pas la réalité — à moins de pouvoir lire les pensées des autres. Nous jugeons donc les actes, sans avoir une idée précise des intentions. Par conséquent, une intention bienveillante peut générer un acte maladroit perçu comme insultant ou vexant. L’hypnothérapie est un moyen – parmi d’autres – d’aider le patient à reconfigurer la perception de ses rapports professionnels. Après tout, nous sommes naturellement capables de revoir nos jugements et nous le faisons beaucoup plus que nous le pensons. Les résultats d’une thérapie par l’hypnose sont souvent édifiants voire amusants. Certains de mes patients ont complètement transformé leur environnement de travail ou plutôt, ils ont reconfiguré celui-ci.

« Ce type Laurent B, je pouvais pas le blairer. Quand il est arrivé dans l’entreprise avec ses diplômes, j’avais 8 ans d’ancienneté. Malgré mes 34 ans, je possédais de solides compétences et me sentais légitime. Et du jour au lendemain, je me suis senti mis à l’écart par mes collègues enfin, c’est ce que je croyais. Puis un jour Laurent B et moi avons commencé à nous parler. Oh, ce n’était pas la grande explication. Mais il y a eu comme une sorte de déclic qui a fait que nous avons décidé de travailler sur un projet en commun. Et j’ai compris qu’il avait de l’estime pour mon travail et il m’a même demandé des conseils. Quant à l’éloignement de mes collègues, j’ai réalisé que c’est moi qui avais pris mes distances, parce que j’étais malheureux et vexé ! »


Un peu plus haut, j’expliquais que le harcèlement n’était pas toujours en cause. J’aimerais cependant revenir sur un type de harcèlement particulièrement pernicieux : son propre harcèlement. Cette petite voix intérieure qui ne s’éteint jamais.

Il y a quelques années, j’ai reçu une patiente très stressée. Elle m’a parlé de son travail et combien il était important pour elle de s’accomplir professionnellement. Elle ne rentrait jamais avant 19h le soir, et il lui arrivait même d’emporter des dossiers pour bosser le week-end. Ses nuits étaient compliquées, car son sommeil se résumait à quelques heures. Dès qu’elle se retrouvait dans le noir, elle préparait sa journée du lendemain, planifiant chaque chose, en essayant de n’omettre aucun détail.


« Vous comprenez, c’est important pour moi de bien faire mon travail et puis, quand on est une femme, il faut se surpasser ! »


À l’évidence, cette patiente soulevait l’épineuse question du statut des femmes dans le monde du travail : une problématique qui est malheureusement loin d’être réglée dans nos sociétés modernes. En outre, j’avais détecté dans sa phrase un terme qu’il fallait absolument déconnecter : retirer le bien dans bien faire son travail.


« Fermez les yeux quelques instants. Que ressentez-vous ? Quelles sont les sensations corporelles que vous pourriez décrire quand vous parlez de bien faire votre travail ?  Quelle est la différence entre faire son travail et bien faire son travail ? »


La dictature de la performance ne rend pas les gens plus performants. Elle installe un conseiller tyrannique qui hurle dans nos têtes sans nous lâcher d’une semelle – pour ma part, j’imagine ce sergent instructeur dans Full Metal Jacket de Stanley Kubrick. Performer, c’est anticiper, mesurer, analyser. Malheureusement, par un curieux effet de capillarité, cette charge mentale se déverse dans la vie privée. Il faut contrôler tout ce qui se passe chez soi : les enfants, leur scolarité, leurs activités, l’entretien de la maison, la planification des vacances, etc.

Le despotisme de la performance finit tôt ou tard par détruire nos capacités naturelles. Je pourrais m’étendre sur les conséquences qui se traduisent souvent par des troubles du sommeil, la perte de confiance en soi, un état dépressif, paranoïaque et au final le burn-out qui n’est autre qu’une ultime mise en garde d’un corps qui se rebelle contre l’autoritarisme du mental.

Les techniques d’hypnose sont assurément très utiles pour mettre un terme à l’auto-harcèlement en licenciant le conseiller mental. En une ou deux séances, il est étonnant de voir comment les patients s’installent avec plaisir dans ce nouveau rapport au travail et plus généralement au monde. Il n’est plus uniquement question de mots, de phrases, de cette verbalisation poussée à l’extrême avec ces dialogues internes qui n’en finissent pas, mais plutôt de sensations, d’une immersion dans un tout. Ils me décrivent souvent le temps comme étant ralenti, comme s’ils arrivaient à voir des choses qu’ils ne pouvaient discerner auparavant. Ils sont à nouveaux disponibles. J’insiste bien sur ce terme de disponibilité, car c’est la clé de l’hypnose : se rendre disponible à quelque-chose.


Autre fait très intéressant, les patients qui s’extirpent de la dictature de la performance avec l’hypnose deviennent à leur tour d’excellents conseillers auprès de leurs collaborateurs. Leur mieux-être fait souvent l’objet de questionnements et sans le savoir, ils donnent quelques conseils d’auto-hypnose à leurs collègues. Ces patients sont parfois d’excellents thérapeutes.

Une cadre dans l’industrie pharmaceutique m’avait un jour expliqué ceci :


« Je dois souvent m’occuper de stagiaires. Vous savez, quand on est cadre, on n’a pas forcément beaucoup de temps à leur consacrer. Certains prennent aussitôt les bonnes initiatives et se fondent facilement dans leur environnement pro, alors que d’autres ont beaucoup plus de mal. Maladroitement, ils font comme Zébulon vous savez, ce petit personnage de Pollux sur ressort qui tournait dans tous les sens. Ils brassent de l’air et finissent par agacer les collaborateurs. Depuis que j’ai fait de l’hypnose avec vous, je prends un peu plus de temps pour m’occuper des stagiaires. Au début, ça étonnait les collègues mais c’est aujourd’hui presque une routine. Quand je détecte un stagiaire un peu paumé et stressé, je lui apprends à ne rien faire pendant cinq minutes. Dans mon bureau il y a une grande baie vitrée qui donne sur un parc. C’est assez joli et j’aime prendre le temps de me perdre dans ce paysage. Je leur demande de regarder les arbres, les feuilles, les nuages dans le ciel. Évidemment au début ça les surprend, mais comme je suis leur chef, ils jouent le jeu. Ils dissimulent leur étonnement et regardent par la fenêtre, en essayant de se concentrer, pendant que je décris les sensations du vent, du soleil, enfin, je fais comme vous m’avez montré en hypnose. Eh bien figurez-vous que ça les détend et du coup, sans trop savoir l’expliquer, ils s’intègrent mieux dans l’équipe ! »


Les techniques d’hypnose paraissent enfantines. C’est la raison pour laquelle elles font sourire et rebutent les — trop sérieuxprofessionnels de la performance. Souvenez-vous, la culture de la performance est parsemée de certitudes qui voudraient que tout soit sérieux. Imaginer que l’on est un rocher est en soit absurde, mais des écrivains comme Camus nous ont bien démontré que l’absurdité était en fait une réalité quotidienne de laquelle il est vain de s’extraire.

L’hypnose thérapeutique — et sa proche cousine la méditation — a largement démontré les bénéfices qu’elle apporte tant sur le plan personnel que professionnel. Pour rester sur le registre de l’absurdité, les techniques d’hypnose permettent de nous rendre performants en essayant de ne pas l’être.

Quand on commence à comprendre l’hypnose, il n’est pas ridicule de dire que ne pas essayer est le meilleur moyen d’y parvenir.

lundi 9 décembre 2019

Soins et hygiène mentale


Il y a quelques semaines, un proche m’a envoyé un lien. Celui-ci pointait vers un site qui prétendait, grâce à l’hypnose, vous faire accéder à vos vies antérieures. Ce proche n’était pas dupe de la supercherie mais, connaissant mon degré de scepticisme, il m’a communiqué le lien. Il s’attendait évidemment à une réaction de ma part et je l’en remercie, car ce lien m’a donné envie d’écrire cet article.

Il y a quelques années, un patient est venu me trouver pour régler des troubles sexuels. Nous avons échangé et, pendant l’entretien, ce monsieur m’a expliqué qu’il avait été samouraï dans une vie antérieure.
À moins qu’elles ne représentent un quelconque danger où qu’elles soient la principale raison de la consultation, je me garde toujours de commenter les croyances de mes patients. Ce monsieur était samouraï dans une vie antérieure et c’était sans doute vrai puisqu’il en avait décidé ainsi. Puis, je l’ai invité à s’asseoir confortablement dans le fauteuil et nous avons pu commencer la séance. Très rapidement, passé l’étape de l’induction, ce monsieur a commencé à s’agiter. Son corps faisait des soubresauts et son visage devint très expressif. Puis, il a commencé à parler en… japonais. Ce monsieur parlait japonais. Du moins en apparence, car il n’y avait de japonais que des intonations aussi caricaturales que peu convaincantes. J’ai laissé faire, tout en orientant la séance et les suggestions vers le trouble sexuel, pendant que mon patient continuait d’être samouraï. Lorsqu’il a ouvert les yeux à la fin de la séance, je me suis abstenu de faire une quelconque allusion au japonais, et ce monsieur est rentré chez lui.


Si j’aborde ce cas, c’est précisément pour démontrer que l’hypnose est un puissant outil de simulation et surtout, pour vous mettre en garde contre une utilisation, ou plutôt, une interprétation malhonnête du phénomène hypnotique. À l’évidence, ce monsieur a vécu une transe ou il a interprété un samouraï. Peut-être a-t-il une passion pour la culture japonaise ou le monde des samouraïs. Ou bien peut-être a-t-il été impressionné par un film mettant en scène des samouraïs. Par exemple, si vous prenez le film d’Akira Kurozawa : Ran, vous ne pouvez pas avoir oublié les batailles sanglantes qui opposaient ces valeureux guerriers. Quoi qu’il en soit, un hypnothérapeute malhonnête pourrait très bien exploiter cette croyance pour exercer une emprise sur son patient. Quelle aurait été la réaction de ce monsieur si, à son réveil, je lui avais expliqué qu’il avait revécu un épisode d’une vie antérieure ? Une vie passée ou il fut un respectable et redoutable samouraï. Et aujourd’hui, peut-être que nous pourrions le connecter un peu plus à ce personnage. Dans quel but ? Eh bien pour qu’il puisse éventuellement donner un peu plus de sens à certaines choses. À ce qui lui échappe, ce qu’il ne maîtrise pas. Et si j’avais ajouté que toutes ces vies antérieures allaient concourir à son épanouissement présent ? Que les expériences de samouraï, de chevalier, de pharaon allaient l’aider à mieux se comprendre, à lui donner une sorte de pouvoir que le commun des mortels ne possède pas. Dans un monde idéal, ce monsieur me regarderait de haut en m’expliquant que je raconte n’importe quoi et qu’il a simplement fait une expérience de transe hypnotique. En somme, pas de quoi pavoiser devant un phénomène largement explicité par les neurosciences. Mais nous ne sommes pas dans un monde idéal. Et il y a de fortes probabilités que ce monsieur me croit. Pourquoi ? Eh bien tout simplement parce que je passe par la brèche de sa croyance qui s’est exprimée lors de l’expérience d’hypnose.
Selon vous, quel degré de vulnérabilité ce monsieur atteindra si on utilise ses croyances comme levier ? Et plus généralement, à combien s’élèvent les sommes extorquées par tous les charlatans qui exploitent de telles failles ? Impossible de répondre et même d’estimer cette manne incroyable générée par des praticiens sans vergogne.

Je l’avais écrit dans un article précédent, les manuels de bien-être, de développement personnel, de dépassement de soi pullulent dans les librairies, et si tous ces ouvrages sont pour la plupart écrits par des personnes sérieuses et fréquentables, il n’en demeure pas moins que l’attrait pour tout ce que l’on appelle injustement « médecines douces » est en nette progression. Dans un monde hiératique, où les repères sociaux et institutionnels sont malmenés, il est bien plus satisfaisant d’adopter des croyances qui nous donneront un semblant d’explication ou au moins de réconfort. Aussi étonnante soit-elle, cette démarche est naturelle. Nous avons tous des croyances. Cependant, certaines sont plus sensibles que d’autres, car elles peuvent nous éloigner voire nous déconnecter des réalités scientifiques quand il ne s’agit pas du bon sens. C’est en partie ce qui explique la défiance à l’égard des vaccins par exemple. Les anti vax sont le dernier avatar de la multinationale New Âge qui inonde le monde de croyances malsaines depuis plus de cent ans.


Nous adhérons à ces croyances, tout simplement parce que nous sommes des êtres émotionnels et que le cerveau ne va pas s’embarrasser à traiter des statistiques. Ainsi, devant la recrudescence de cas de maladie de Parkinson, il est tentant d’en imputer la cause aux vaccins. Cette paresse intellectuelle exclut un paramètre très important : l’espérance de vie est passée – pour les femmes, de 69,2 années en 1950 à 84,8 années en 2011 et de 63,4 années à 78,2 années pour les hommes, pour la même période. Non, notre esprit n’est décidément pas statisticien et confondra – une fois n’est pas coutume, corrélation et lien de cause à effet.
Dissonance cognitive, quand tu nous tiens !
Corrélation il y a, entre la montée en puissance des vaccins et l’augmentation des cas de maladie de Parkinson. Mais il n’y a pas de lien de cause à effet. En revanche, l’augmentation de l’espérance de vie va augmenter les classes d’âge susceptibles de développer des maladies dégénératives. Il est dans ce cas plus facile d’admettre que la vieillesse est le principal vecteur des maladies dégénératives. J’ajoute – bien que n’ayant pas fait médecine, que la vieillesse est la principale cause de la mort. Bien sûr, rien ne nous interdit de croire que les vaccins augmentent les risques, mais en l’état actuel de nos connaissances, il est impossible de le prouver.

Je le répète, la plupart de nos croyances ne sont pas à proprement parler préjudiciables cependant, dès lors qu’elles sont exploitées par quelqu’un de malintentionné, nous courrons le risque de nous faire manipuler et arnaquer.
Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai découvert qu’un couple d’hypnothérapeutes s’était installé dans la région d’Elbeuf. Par curiosité, je suis allé faire un tour sur le site de ces deux confrères. À première vue, tout ce qui était présenté était relativement sérieux néanmoins, mon voyant de méfiance est passé au rouge, dès lors que j’ai vu que ce couple pratiquait le magnétisme et même le magnétisme à distance. Ce mélange des genres ne fait malheureusement pas bonne presse à l’hypnose. Comment faire cohabiter deux techniques dont l’une n’a aucune caution scientifique et qu’elle est – à ce jour, considérée comme une pseudoscience, alors que l’autre se laisse éprouver par toutes sortes de protocoles de validation ? Pour notre grand malheur, l’hypnose n’est toujours pas une profession réglementée. Vous pouvez ainsi lire un manuel d’hypnose et décider de poser votre plaque pour exercer en toute légalité. Réglementer l’hypnose est un chantier titanesque. Car il faudrait définir par quelle formation devrait passer un praticien. Déciderait-on de réserver cette activité aux seules professions médicales voire paramédicales, ce qui exclurait de fait une bonne partie des praticiens actuels, dont moi. Pour autant, je pense qu’il sera difficile de faire encore longtemps l’impasse sur cette question, car il est impératif de créer un cordon sanitaire entre l’hypnose et les pseudosciences.

Vous doutez encore de l’urgence d’un tel chantier ?

Alors permettez-moi de vous donner un dernier exemple.

Il m’arrive parfois de recevoir des patients qui sont dans le deuil. Bien souvent, ces gens sont d’une extrême lucidité. Ils savent bien qu’ils doivent lâcher, laisser partir le défunt, mais ils ne parviennent pas à s’y résoudre. Dans ce cas, je propose à mes patients d’aller à la rencontre de la personne disparue. Pour lui dire au-revoir, parce que c’est important de la laisser partir. De le libérer. Après quoi, je prends bien soin d’expliquer à mes patients qu’il s’agira d’une expérience d’hypnose reposant sur des mécanismes d’imagination. Rien de ce qu’ils vivront ne sera vrai, mais ils vont pouvoir faire comme si, parce que symboliquement cette simulation leur apportera la sérénité qu’ils attendent. La plupart du temps les patients sont satisfaits de cette expérience. Certains pleurent, mais les visages sont souriants, car ils ont pris le temps de dire un dernier au-revoir. J’avoue que je suis moi-même toujours bluffé par cet acte de résilience provoqué par un simple exercice d’imagination.

Je souligne que chez certains patients, le degré de réalité peut réellement troubler au point de croire que l’on est en face du défunt. C’est précisément là que le thérapeute malintentionné va tenter de manipuler sa victime. Et s’il arrivait à convaincre son patient que l’hypnose est le moyen ultime pour communiquer avec l’être cher ? Et si ce patient revenait régulièrement en séance pour rencontrer d’autres défunts, en apprendre un peu plus sur lui, pourquoi il est comme ça, et pas autrement ?
La mort est un phénomène qui ne laisse pas l’humanité indifférente. Pour s’en convaincre, il suffit de fréquenter les bibliothèques et de visiter les monuments religieux. La mort est parmi nous. Elle frappe à chaque instant, mais nous n’avons jamais compris ce qu’elle était et surtout, quel était le sens de tout cela. La mort d’un proche est évidement quelque-chose d’inconcevable. Une partie de nous accepte son inéluctabilité pendant qu’une autre la réfutera. Parce qu’il faut encore et toujours satisfaire ce besoin impérieux de donner du sens aux choses. Les esprits nous font des signes au quotidien. Libre à nous de les déceler.
Là encore, tout le monde est libre de croire aux esprits et aux fantômes.
Mais pas les hypnothérapeutes sérieux.


J’entends souvent que le scepticisme est un filtre bien trop puissant. Tellement puissant qu’il ne laisse passer aucun rêve, aucune magie, faisant endosser aux sceptiques la réputation d’être des gens tristes à mourir. Je veux bien admettre que certains sceptiques ne soient pas fun, mais leur nombre se perd dans la grande majorité des sceptiques fans des Game of Thrones, pendant que d’autres feront des parties de Quidditch sur le plancher des vaches.

Personnellement, je ne regarde pas Harry Potter parce que je crois en la magie. Je regarde Harry Potter, parce que j’aimerais que la magie existe. C’est pour les mêmes raisons que j’ai menti à mes enfants à propos du Père Noël et que je leur faisais des bisous magiques lorsqu’ils se blessaient. Et enfin, c’est pour les mêmes raisons que je ne me sentirai jamais guéri parce que je porte un talisman en tourmaline autour du cou. Pas plus que je ne croirai aux vertus de l’eau informée, fut-elle une combinaison de plusieurs procédés scientifiques, développée par des chercheurs internationaux ayant reçu plus de 90 récompenses pour leurs travaux.

L’hypnothérapie est une pratique sensible. Tout simplement parce qu’elle permet d’entrevoir très facilement la vulnérabilité des patients qui viennent chercher de l’aide. Et si vous ajoutez à cela le haut degré de suggestibilité résultant d’une séance d’hypnose, vous comprendrez l’importance de l’éthique. Évidemment, l’éthique devrait être un point cardinal pour toutes les professions. Mais je pense qu’elle l’est encore plus pour les métiers de la santé mentale.
Alors prudence, et continuez de pratiquer le doute. Cependant, ne renoncez jamais à l’envie d’espérer que les fées existent. D’ailleurs qui sait ? Peut-être qu’un jour la méthode scientifique le prouvera.