lundi 17 décembre 2018

13) Le changement dans un monde en souffrance qui s’écoute et s’analyse




Le changement est l’objectif, la réponse ou carrément le Graal du patient. S’il vient vous voir, c’est qu’il a épuisé toutes ses cartes, ou du moins le pense-t-il. Pourtant, bien que vous ayez déployé les meilleurs stratagèmes, le changement tarde à venir et, à l’instar du patient, vous finissez par épuiser vos propres cartes. Là encore, je rappelle qu’il faut parfois se résigner à l’échec. D’une part parce que le patient n’est pas toujours prêt au changement, ou plus humblement parce que vous n’avez pas été à la hauteur.
Acceptez cela si vous souhaitez progresser.

Aide-toi, le ciel t’aidera

Cette vielle expression est souvent attribuée à Jean de la Fontaine dans sa fable « le charretier embourbé ». Pourtant, on en retrouve des variantes dans des textes de Corneille, Rabelais voire dans des expressions étrangères. Les Écossais ont coutume de dire : « Fais pour le mieux et Dieu fera mieux encore ! » et bien avant eux les Athéniens avaient ce proverbe : « Dieu aime à seconder celui qui travaille ! »
Mon interprétation est qu’il vaut mieux écarter l’intervention divine, le fameux Deus Ex Machina des dramaturges grecs et ne compter que sur soi-même. D’ailleurs, ces expressions invitent implicitement à cela. Mais ne compter que sur soi-même n’implique pas nécessairement une analyse, pas plus qu’un travail sur soi et je vais expliquer pourquoi.

Même si les problématiques sont différentes, les patients qui franchissent la porte de mon cabinet sont tous sans exception dans une posture de fixation. Ils sont figés ou englués dans leur problème. Leur rapport avec la belle-mère, l’addiction au tabac, la rupture, le chef tyrannique, la femme battue, la phobie…
Aussi étrange que cela puisse paraître, le travaille de l’hypnothérapeute ne consiste pas à aider le patient, mais plutôt à le revêtir d’une panoplie de confusion pour favoriser un voyage incertain vers la bonne ressource. Peu importe les moyens et la méthode, seule la fin compte. Que vous utilisiez l’hypnose conversationnelle, l’hypnose plus classique, les suggestions implicites, les métaphores voire la prescription du symptôme.
Évidemment, le patient persévérera lorsqu’il commencera à sortir de son récit. Quand il renoncera à ce qui ne fonctionne pas. Quand il se sera détourné du résultat pour mieux atteindre… le résultat mais le vrai cette fois-ci.
Étonnante manière de voir les choses mais qui reflète pourtant la vérité. De considérer que l’objectif tant souhaité est une chimère, et qu’en lâchant cet objectif tout peut arriver. Vous en doutez ? Eh bien sachez que les patients arrivent bien souvent avec la certitude qu’ils ont bien analysé le problème. Encore et toujours cette obsession de l’analyse, du travail sur soi et de l’objectif à suivre. C’est bien le meilleur moyen de faire fausse route. À moins de vouloir tourner en rond pendant des années comme dans le fameux sketch du sens interdit de Raymond Devos.



Je me souviens de ce patient qui était arrivé en consultation avec une pile de documents décrivant son mal-être. Un Monsieur un peu désabusé, malheureux dans son couple et dans son travail.

— Je suis un hyper sensible Monsieur. Regardez, j’ai lu les pages 45, 47 et 53 et je me suis complètement retrouvé dans la description !

Le patient dépose l’équivalent d’une ramette de papier sur mon bureau et m’invite à lire quelques extraits.

— Voyez, ici on raconte que c’est pendant mon enfance que…

Difficile d’interrompre ce patient qui a potassé pendant des heures voire des jours une documentation digne de la bibliothèque d’Alexandrie. Assurément, il est devenu un expert de son mal-être. Il m’explique en outre avoir découvert un ouvrage très intéressant permettant de remédier à son problème.
Le cas de ce Monsieur n’est pas un cas isolé. Il faudrait qu’on m’explique pourquoi les librairies regorgent de manuels de développement personnel, de méthodes zen, d’ouvrages de philosophie toltèque. Pourquoi les livres de Christophe André se vendent aussi bien et enfin pourquoi les pages Facebook se drapent de citations de Mathieu Ricard, du Dalaï-lama et autres sages à la mode ? Évidemment il ne s’agit pas d’une critique du Dalaï-lama que je respecte, ni même de Christophe André qui écrit par ailleurs d’excellents articles. Mais je me demande comment tout ce mal-être arrive à côtoyer de tels monuments de sagesse sans en sortir apaisé ?
Allez-vous guérir si vous citez le Dalaï-lama ? Votre mal-être sera-t-il inversement proportionnel au nombre de likes que vous obtiendrez en reprenant une phrase de Nelson Mandela ?
Bien sûr que non.

Sans rejeter ou nier la puissance de cette philosophie et de ces grands penseurs, je finis par demander à mes patients de mettre ça de côté. Bien sûr, ils ne le prennent pas toujours bien, car se séparer de ces ouvrages c’est faire un bond dans l’inconnu et par conséquent la peur. Mais s’ils acceptent de faire ce saut dans l’inconnu, dans le vague et dans l’incertitude, pour citer François Roustang, alors quelque-chose est possible dans la réorganisation de leur existence. C’est précisément ce qui se passe dans le rêve, et quand l’éveil ressemble au rêve, il y a alors un mélange de toutes les possibilités d’un individu qui lui permettent de reconstituer son existence. Mais il ne doit en aucun cas parler de lui ou essayer de reconstituer quelque-chose de lui, faute de quoi, le changement ne se produira pas.