Le
changement est l’objectif, la réponse ou carrément le Graal du
patient. S’il vient vous voir, c’est qu’il a épuisé toutes
ses cartes, ou du moins le pense-t-il. Pourtant, bien que vous ayez
déployé les meilleurs stratagèmes, le changement tarde à venir
et, à l’instar du patient, vous finissez par épuiser vos propres
cartes. Là encore, je rappelle qu’il faut parfois se résigner à
l’échec. D’une part parce que le patient n’est pas toujours
prêt au changement, ou plus humblement parce que vous n’avez pas
été à la hauteur.
Acceptez
cela si vous souhaitez progresser.
Aide-toi, le ciel t’aidera
Cette
vielle expression est souvent attribuée à Jean de la Fontaine dans
sa fable « le charretier embourbé ».
Pourtant, on en retrouve des variantes dans des textes de Corneille,
Rabelais voire dans des expressions étrangères. Les Écossais ont
coutume de dire : « Fais pour le mieux et Dieu fera
mieux encore ! » et bien avant eux les Athéniens
avaient ce proverbe : « Dieu aime à seconder
celui qui travaille ! »
Mon
interprétation est qu’il vaut mieux écarter l’intervention
divine, le fameux Deus Ex Machina des dramaturges grecs et ne compter
que sur soi-même. D’ailleurs, ces expressions invitent
implicitement à cela. Mais ne compter que sur soi-même n’implique
pas nécessairement une analyse, pas plus qu’un travail sur soi et
je vais expliquer pourquoi.
Même
si les problématiques sont différentes, les patients qui
franchissent la porte de mon cabinet sont tous sans exception dans
une posture de fixation. Ils sont figés ou englués dans leur
problème. Leur rapport avec la belle-mère, l’addiction au tabac,
la rupture, le chef tyrannique, la femme battue, la phobie…
Aussi
étrange que cela puisse paraître, le travaille de l’hypnothérapeute
ne consiste pas à aider le patient, mais plutôt à le revêtir
d’une panoplie de confusion pour favoriser un voyage incertain vers
la bonne ressource. Peu importe les moyens et la méthode, seule la
fin compte. Que vous utilisiez l’hypnose conversationnelle,
l’hypnose plus classique, les suggestions implicites, les
métaphores voire la prescription du symptôme.
Évidemment,
le patient persévérera lorsqu’il commencera à sortir de son
récit. Quand il renoncera à ce qui ne fonctionne pas. Quand il se
sera détourné du résultat pour mieux atteindre… le résultat
mais le vrai cette fois-ci.
Étonnante
manière de voir les choses mais qui reflète pourtant la vérité.
De considérer que l’objectif tant souhaité est une chimère, et
qu’en lâchant cet objectif tout peut arriver. Vous en doutez ?
Eh bien sachez que les patients arrivent bien souvent avec la
certitude qu’ils ont bien analysé le problème. Encore et toujours
cette obsession de l’analyse, du travail sur soi et de l’objectif
à suivre. C’est bien le meilleur moyen de faire fausse route. À
moins de vouloir tourner en rond pendant des années comme dans le
fameux sketch du sens interdit de Raymond Devos.
Je
me souviens de ce patient qui était arrivé en consultation avec une
pile de documents décrivant son mal-être. Un Monsieur un peu
désabusé, malheureux dans son couple et dans son travail.
— Je
suis un hyper sensible Monsieur. Regardez, j’ai lu les pages 45, 47
et 53 et je me suis complètement retrouvé dans la description !
Le
patient dépose l’équivalent d’une ramette de papier sur mon
bureau et m’invite à lire quelques extraits.
— Voyez,
ici on raconte que c’est pendant mon enfance que…
Difficile
d’interrompre ce patient qui a potassé pendant des heures voire
des jours une documentation digne de la bibliothèque d’Alexandrie.
Assurément, il est devenu un expert de son mal-être. Il m’explique
en outre avoir découvert un ouvrage très intéressant permettant de
remédier à son problème.
Le
cas de ce Monsieur n’est pas un cas isolé. Il faudrait qu’on
m’explique pourquoi les librairies regorgent de manuels de
développement personnel, de méthodes zen, d’ouvrages de
philosophie toltèque. Pourquoi les livres de Christophe André se
vendent aussi bien et enfin pourquoi les pages Facebook se drapent de
citations de Mathieu Ricard, du Dalaï-lama et autres sages à la
mode ? Évidemment il ne s’agit pas d’une critique du
Dalaï-lama que je respecte, ni même de Christophe André qui écrit
par ailleurs d’excellents articles. Mais je me demande comment tout
ce mal-être arrive à côtoyer de tels monuments de sagesse sans en
sortir apaisé ?
Allez-vous
guérir si vous citez le Dalaï-lama ? Votre mal-être sera-t-il
inversement proportionnel au nombre de likes que vous obtiendrez en
reprenant une phrase de Nelson Mandela ?
Bien
sûr que non.
Sans
rejeter ou nier la puissance de cette philosophie et de ces grands
penseurs, je finis par demander à mes patients de mettre ça de
côté. Bien sûr, ils ne le prennent pas toujours bien, car se
séparer de ces ouvrages c’est faire un bond dans l’inconnu et
par conséquent la peur. Mais s’ils acceptent de faire ce saut dans
l’inconnu, dans le vague et dans l’incertitude, pour citer
François Roustang, alors quelque-chose est possible dans la
réorganisation de leur existence. C’est précisément ce qui se
passe dans le rêve, et quand l’éveil ressemble au rêve, il y a
alors un mélange de toutes les possibilités d’un individu qui lui
permettent de reconstituer son existence. Mais il ne doit en aucun
cas parler de lui ou essayer de reconstituer quelque-chose de lui,
faute de quoi, le changement ne se produira pas.