mercredi 2 décembre 2020

Ados et COVID 19 : une urgence psychiatrique


 

Tous les jours, je relève dans mes flux d’information des articles émanant de médias généralistes et spécialisés. Depuis octobre, je constate que les champs lexicaux liés à la psychiatrie sont en nette augmentation : santé mentale, mal-être, dépression post confinement, désespoir…

Le 23 mars 2020, Santé Publique France a lancé une enquête pour suivre l’évolution des comportements et de la santé mentale pendant l'épidémie de Covid 19. Cette enquête lancée auprès d’un échantillon de 2000 personnes de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine, va permettre en autre de capitaliser à long terme des connaissances sur les répercussions du Covid-19 en population générale, sur la santé mentale et d’autres comportements de santé (consommations de substances psychoactives, nutrition, activité physique)*.

Quelques conclusions ont d’ores et déjà été publiées sur le site Santé Publique France : « La santé mentale des Français, s’est significativement dégradée entre fin septembre et début novembre avec une augmentation importante des états dépressifs pour l’ensemble de la population (+10 points).

En plus de ce panel de 2000 personnes majeures, il serait utile d’ajouter des publics plus jeunes. Je constate en effet, au travers des échanges que je peux avoir avec mes patients mineurs, une très nette dégradation de leur moral. Comme une sorte de bruit de fond annonçant une catastrophe sanitaire inédite. Sans polémiquer sur la gestion de la crise sanitaire, je m’inquiète de la santé mentale des ados. L’adolescence, c’est la période complexe qui voit un remodelage total de certaines structures du cerveau. Votre ado de 16 ans est apathique ? C’est normal. Il se rebelle contre vos décisions ? Encore plus normal. Le remodelage du cerveau de l’adolescent le rend plus indépendant et prompt à prendre des risques. En outre, c’est l’âge où il va un peu délaisser les liens avec les parents pour donner plus d’importance à ses relations sociales. Celles qu’il aura choisies.

La crise sanitaire a fortement ralenti les interactions sociales. Et lorsque celles-ci sont possibles, les distances et / où le masque les rendent encore plus complexes. Ces jeunes se retrouvent ainsi brutalement stoppés dans la manifestation la plus élémentaire de l’adolescence. Bien sûr, certains d’entre eux arrivent parfois à transgresser les règles du masque et de la distanciation sociale, mais ces quelques espaces de liberté, aussi fugaces soient-ils, ne sont pas suffisants. On pourra rétorquer que les ados peuvent se retrancher sur ces réseaux sociaux qu’ils maîtrisent à la perfection. Cela est vrai dans une certaine mesure cependant, les réseaux sociaux ont leurs limites et cela, même les ados le savent.


Les témoignages des 15 – 18 sont particulièrement préoccupants.


« Pourquoi continuer de travailler à l’école ? Il y a les épidémies, la crise et le réchauffement climatique ! »

« Le soir je m’endors de plus en plus tard et le lendemain je suis éclatée au collège ! »

« Avec les copains c’est plus pareil. On peut plus s’approcher et le masque dissimule le visage ! »


En lisant plus finement l’étude de Santé Publique France, nous constatons que les hausses les plus importantes des états dépressifs ont été observées chez les plus jeunes (+16 points chez les 18-24 ans). On peut donc légitimement s’interroger sur le moral des 15 – 18 voire des plus jeunes. Comment les autorités publiques vont-elles réagir ?

À ce jour, nous ne possédons aucun protocole susceptible d’apporter un mieux être chez ces jeunes. Je parle d’un protocole spécifique qui tirerait les enseignements de l’épidémie, de l’impact de la distanciation sociale, du masque obligatoire, des attestations dérogatoires et des deux périodes de confinement.

Je m’interroge également sur les choix à venir dans l’Éducation Nationale. Saura-t-elle mettre en place des groupes où les jeunes pourront librement s’exprimer ? Seront-ils initiés aux techniques de méditation, de cohérence cardiaque et d’auto-hypnose ? Auront-ils un espace de liberté pour décrire la manière dont ils ont vécu le confinement et plus généralement l’épidémie ?

Rien n’est moins sûr. Car la France a cette spécificité qui lui fait plus souvent préférer la contrainte et la menace plutôt que la responsabilisation. Cette méfiance s’exerce dès l’école, où l’encadrement des ados est très codifié et où leur avis n’est que peu pris en compte.

Assurément, les enfants issus des milieux les plus favorisés pourront bénéficier d’un accompagnement et de soins, cependant que les enfants issus de milieux défavorisés ne pourront compter que sur des dispositifs dont la faiblesse est avérée.

Une fois encore, j’ose espérer que les autorités publiques sauront anticiper cette vague de mal-être. Mal-être qui ne sera peut-être pas perceptible dans l’immédiat. Faute de quoi, l’ambiance scolaire et le décrochage ne seront pas plus maîtrisables que la propagation de l’épidémie elle-même.

 

* https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/covid-19-une-enquete-pour-suivre-l-evolution-des-comportements-et-de-la-sante-mentale-pendant-l-epidemie 


Crédit photo : BiblioArchives / LibraryArchives

Ms. Jean McNiven, librarian, reading to a group of Grade Two pupils / Mme Jean McNiven, bibliothécaire, faisant la lecture à un groupe d’élèves de deuxième année