Il y
a quelques semaines, un proche m’a envoyé un lien. Celui-ci
pointait vers un site qui prétendait, grâce à l’hypnose, vous
faire accéder à vos vies antérieures. Ce proche n’était pas
dupe de la supercherie mais, connaissant mon degré de scepticisme,
il m’a communiqué le lien. Il s’attendait évidemment à une
réaction de ma part et je l’en remercie, car ce lien m’a donné
envie d’écrire cet article.
Il y
a quelques années, un patient est venu me trouver pour régler des
troubles sexuels. Nous avons échangé et, pendant l’entretien, ce
monsieur m’a expliqué qu’il avait été samouraï dans une vie
antérieure.
À
moins qu’elles ne représentent un quelconque danger où qu’elles
soient la principale raison de la consultation, je me garde toujours
de commenter les croyances de mes patients. Ce monsieur était
samouraï dans une vie antérieure et c’était sans doute vrai
puisqu’il en avait décidé ainsi. Puis, je l’ai invité à
s’asseoir confortablement dans le fauteuil et nous avons pu
commencer la séance. Très rapidement, passé l’étape de
l’induction, ce monsieur a commencé à s’agiter. Son corps
faisait des soubresauts et son visage devint très expressif. Puis,
il a commencé à parler en… japonais. Ce monsieur parlait
japonais. Du moins en apparence, car il n’y avait de japonais que
des intonations aussi caricaturales que peu convaincantes. J’ai
laissé faire, tout en orientant la séance et les suggestions vers
le trouble sexuel, pendant que mon patient continuait d’être
samouraï. Lorsqu’il a ouvert les yeux à la fin de la séance, je
me suis abstenu de faire une quelconque allusion au japonais, et ce
monsieur est rentré chez lui.
Si
j’aborde ce cas, c’est précisément pour démontrer que
l’hypnose est un puissant outil de simulation et surtout, pour vous
mettre en garde contre une utilisation, ou plutôt, une
interprétation malhonnête du phénomène hypnotique. À l’évidence,
ce monsieur a vécu une transe ou il a interprété un samouraï.
Peut-être a-t-il une passion pour la culture japonaise ou le monde
des samouraïs. Ou bien peut-être a-t-il été impressionné par un
film mettant en scène des samouraïs. Par exemple, si vous prenez le
film d’Akira Kurozawa : Ran, vous ne pouvez pas avoir oublié
les batailles sanglantes qui opposaient ces valeureux guerriers. Quoi
qu’il en soit, un hypnothérapeute malhonnête pourrait très bien
exploiter cette croyance pour exercer une emprise sur son patient.
Quelle aurait été la réaction de ce monsieur si, à son réveil,
je lui avais expliqué qu’il avait revécu un épisode d’une vie
antérieure ? Une vie passée ou il fut un respectable et
redoutable samouraï. Et aujourd’hui, peut-être que nous pourrions
le connecter un peu plus à ce personnage. Dans quel but ? Eh
bien pour qu’il puisse éventuellement donner un peu plus de sens à
certaines choses. À ce qui lui échappe, ce qu’il ne maîtrise
pas. Et si j’avais ajouté que toutes ces vies antérieures
allaient concourir à son épanouissement présent ? Que les
expériences de samouraï, de chevalier, de pharaon allaient l’aider
à mieux se comprendre, à lui donner une sorte de pouvoir que le
commun des mortels ne possède pas. Dans un monde idéal, ce monsieur
me regarderait de haut en m’expliquant que je raconte n’importe
quoi et qu’il a simplement fait une expérience de transe
hypnotique. En somme, pas de quoi pavoiser devant un phénomène
largement explicité par les neurosciences. Mais nous ne sommes pas
dans un monde idéal. Et il y a de fortes probabilités que ce
monsieur me croit. Pourquoi ? Eh bien tout simplement parce que
je passe par la brèche de sa croyance qui s’est exprimée lors de
l’expérience d’hypnose.
Selon
vous, quel degré de vulnérabilité ce monsieur atteindra si on
utilise ses croyances comme levier ? Et plus généralement, à
combien s’élèvent les sommes extorquées par tous les charlatans
qui exploitent de telles failles ? Impossible de répondre et
même d’estimer cette manne incroyable générée par des
praticiens sans vergogne.
Je
l’avais écrit dans un article précédent, les manuels de
bien-être, de développement personnel, de dépassement de soi
pullulent dans les librairies, et si tous ces ouvrages sont pour la
plupart écrits par des personnes sérieuses et fréquentables, il
n’en demeure pas moins que l’attrait pour tout ce que l’on
appelle injustement « médecines douces » est en nette
progression. Dans un monde hiératique, où les repères sociaux et
institutionnels sont malmenés, il est bien plus satisfaisant
d’adopter des croyances qui nous donneront un semblant
d’explication ou au moins de réconfort. Aussi étonnante
soit-elle, cette démarche est naturelle. Nous avons tous des
croyances. Cependant, certaines sont plus sensibles que d’autres,
car elles peuvent nous éloigner voire nous déconnecter des réalités
scientifiques quand il ne s’agit pas du bon sens. C’est en partie
ce qui explique la défiance à l’égard des vaccins par exemple.
Les anti vax sont le dernier avatar de la multinationale New Âge qui
inonde le monde de croyances malsaines depuis plus de cent ans.
Nous
adhérons à ces croyances, tout simplement parce que nous sommes des
êtres émotionnels et que le cerveau ne va pas s’embarrasser à
traiter des statistiques. Ainsi, devant la recrudescence de cas de
maladie de Parkinson, il est tentant d’en imputer la cause aux
vaccins. Cette paresse intellectuelle exclut un paramètre très
important : l’espérance de vie est passée – pour les
femmes, de 69,2 années en 1950 à 84,8 années en 2011 et de 63,4
années à 78,2 années pour les hommes, pour la même période. Non,
notre esprit n’est décidément pas statisticien et confondra –
une fois n’est pas coutume, corrélation et lien de cause à effet.
Dissonance
cognitive, quand tu nous tiens !
Corrélation
il y a, entre la montée en puissance des vaccins et l’augmentation
des cas de maladie de Parkinson. Mais il n’y a pas de lien de cause
à effet. En revanche, l’augmentation de l’espérance de vie va
augmenter les classes d’âge susceptibles de développer des
maladies dégénératives. Il est dans ce cas plus facile d’admettre
que la vieillesse est le principal vecteur des maladies
dégénératives. J’ajoute – bien que n’ayant pas fait
médecine, que la vieillesse est la principale cause de la mort. Bien
sûr, rien ne nous interdit de croire que les vaccins augmentent les
risques, mais en l’état actuel de nos connaissances, il est
impossible de le prouver.
Je
le répète, la plupart de nos croyances ne sont pas à proprement
parler préjudiciables cependant, dès lors qu’elles sont
exploitées par quelqu’un de malintentionné, nous courrons le
risque de nous faire manipuler et arnaquer.
Pas
plus tard que la semaine dernière, j’ai découvert qu’un couple
d’hypnothérapeutes s’était installé dans la région d’Elbeuf.
Par curiosité, je suis allé faire un tour sur le site de ces deux
confrères. À première vue, tout ce qui était présenté était
relativement sérieux néanmoins, mon voyant de méfiance est passé
au rouge, dès lors que j’ai vu que ce couple pratiquait le
magnétisme et même le magnétisme à distance. Ce mélange des
genres ne fait malheureusement pas bonne presse à l’hypnose.
Comment faire cohabiter deux techniques dont l’une n’a aucune
caution scientifique et qu’elle est – à ce jour, considérée
comme une pseudoscience, alors que l’autre se laisse éprouver par
toutes sortes de protocoles de validation ? Pour notre grand
malheur, l’hypnose n’est toujours pas une profession réglementée.
Vous pouvez ainsi lire un manuel d’hypnose et décider de poser
votre plaque pour exercer en toute légalité. Réglementer l’hypnose
est un chantier titanesque. Car il faudrait définir par quelle
formation devrait passer un praticien. Déciderait-on de réserver
cette activité aux seules professions médicales voire
paramédicales, ce qui exclurait de fait une bonne partie des
praticiens actuels, dont moi. Pour autant, je pense qu’il sera
difficile de faire encore longtemps l’impasse sur cette question,
car il est impératif de créer un cordon sanitaire entre l’hypnose
et les pseudosciences.
Vous
doutez encore de l’urgence d’un tel chantier ?
Alors
permettez-moi de vous donner un dernier exemple.
Il
m’arrive parfois de recevoir des patients qui sont dans le deuil.
Bien souvent, ces gens sont d’une extrême lucidité. Ils savent
bien qu’ils doivent lâcher, laisser partir le défunt, mais ils ne
parviennent pas à s’y résoudre. Dans ce cas, je propose à mes
patients d’aller à la rencontre de la personne disparue. Pour lui
dire au-revoir, parce que c’est important de la laisser partir. De
le libérer. Après quoi, je prends bien soin d’expliquer à mes
patients qu’il s’agira d’une expérience d’hypnose reposant
sur des mécanismes d’imagination. Rien de ce qu’ils vivront ne
sera vrai, mais ils vont pouvoir faire comme si, parce que
symboliquement cette simulation leur apportera la sérénité qu’ils
attendent. La plupart du temps les patients sont satisfaits de cette
expérience. Certains pleurent, mais les visages sont souriants, car
ils ont pris le temps de dire un dernier au-revoir. J’avoue que je
suis moi-même toujours bluffé par cet acte de résilience provoqué
par un simple exercice d’imagination.
Je
souligne que chez certains patients, le degré de réalité peut
réellement troubler au point de croire que l’on est en face du
défunt. C’est précisément là que le thérapeute malintentionné
va tenter de manipuler sa victime. Et s’il arrivait à convaincre
son patient que l’hypnose est le moyen ultime pour communiquer avec
l’être cher ? Et si ce patient revenait régulièrement en
séance pour rencontrer d’autres défunts, en apprendre un peu plus
sur lui, pourquoi il est comme ça, et pas autrement ?
La
mort est un phénomène qui ne laisse pas l’humanité indifférente.
Pour s’en convaincre, il suffit de fréquenter les bibliothèques
et de visiter les monuments religieux. La mort est parmi nous. Elle
frappe à chaque instant, mais nous n’avons jamais compris ce
qu’elle était et surtout, quel était le sens de tout cela. La
mort d’un proche est évidement quelque-chose d’inconcevable. Une
partie de nous accepte son inéluctabilité pendant qu’une autre la
réfutera. Parce qu’il faut encore et toujours satisfaire ce besoin
impérieux de donner du sens aux choses. Les esprits nous font des
signes au quotidien. Libre à nous de les déceler.
Là
encore, tout le monde est libre de croire aux esprits et aux
fantômes.
Mais
pas les hypnothérapeutes sérieux.
J’entends
souvent que le scepticisme est un filtre bien trop puissant.
Tellement puissant qu’il ne laisse passer aucun rêve, aucune
magie, faisant endosser aux sceptiques la réputation d’être des
gens tristes à mourir. Je veux bien admettre que certains sceptiques
ne soient pas fun, mais leur nombre se perd dans la grande majorité
des sceptiques fans des Game of Thrones, pendant que d’autres
feront des parties de Quidditch sur le plancher des vaches.
Personnellement,
je ne regarde pas Harry Potter parce que je crois en la magie. Je
regarde Harry Potter, parce que j’aimerais que la magie existe.
C’est pour les mêmes raisons que j’ai menti à mes enfants à
propos du Père Noël et que je leur faisais des bisous magiques
lorsqu’ils se blessaient. Et enfin, c’est pour les mêmes raisons
que je ne me sentirai jamais guéri parce que je porte un talisman en
tourmaline autour du cou. Pas plus que je ne croirai aux vertus de
l’eau informée, fut-elle une combinaison de plusieurs procédés
scientifiques, développée par des chercheurs internationaux ayant
reçu plus de 90 récompenses pour leurs travaux.
L’hypnothérapie
est une pratique sensible. Tout simplement parce qu’elle permet
d’entrevoir très facilement la vulnérabilité des patients qui
viennent chercher de l’aide. Et si vous ajoutez à cela le haut
degré de suggestibilité résultant d’une séance d’hypnose,
vous comprendrez l’importance de l’éthique. Évidemment,
l’éthique devrait être un point cardinal pour toutes les
professions. Mais je pense qu’elle l’est encore plus pour les
métiers de la santé mentale.
Alors
prudence, et continuez de pratiquer le doute. Cependant, ne renoncez
jamais à l’envie d’espérer que les fées existent. D’ailleurs
qui sait ? Peut-être qu’un jour la méthode scientifique le
prouvera.