lundi 9 décembre 2019

Soins et hygiène mentale


Il y a quelques semaines, un proche m’a envoyé un lien. Celui-ci pointait vers un site qui prétendait, grâce à l’hypnose, vous faire accéder à vos vies antérieures. Ce proche n’était pas dupe de la supercherie mais, connaissant mon degré de scepticisme, il m’a communiqué le lien. Il s’attendait évidemment à une réaction de ma part et je l’en remercie, car ce lien m’a donné envie d’écrire cet article.

Il y a quelques années, un patient est venu me trouver pour régler des troubles sexuels. Nous avons échangé et, pendant l’entretien, ce monsieur m’a expliqué qu’il avait été samouraï dans une vie antérieure.
À moins qu’elles ne représentent un quelconque danger où qu’elles soient la principale raison de la consultation, je me garde toujours de commenter les croyances de mes patients. Ce monsieur était samouraï dans une vie antérieure et c’était sans doute vrai puisqu’il en avait décidé ainsi. Puis, je l’ai invité à s’asseoir confortablement dans le fauteuil et nous avons pu commencer la séance. Très rapidement, passé l’étape de l’induction, ce monsieur a commencé à s’agiter. Son corps faisait des soubresauts et son visage devint très expressif. Puis, il a commencé à parler en… japonais. Ce monsieur parlait japonais. Du moins en apparence, car il n’y avait de japonais que des intonations aussi caricaturales que peu convaincantes. J’ai laissé faire, tout en orientant la séance et les suggestions vers le trouble sexuel, pendant que mon patient continuait d’être samouraï. Lorsqu’il a ouvert les yeux à la fin de la séance, je me suis abstenu de faire une quelconque allusion au japonais, et ce monsieur est rentré chez lui.


Si j’aborde ce cas, c’est précisément pour démontrer que l’hypnose est un puissant outil de simulation et surtout, pour vous mettre en garde contre une utilisation, ou plutôt, une interprétation malhonnête du phénomène hypnotique. À l’évidence, ce monsieur a vécu une transe ou il a interprété un samouraï. Peut-être a-t-il une passion pour la culture japonaise ou le monde des samouraïs. Ou bien peut-être a-t-il été impressionné par un film mettant en scène des samouraïs. Par exemple, si vous prenez le film d’Akira Kurozawa : Ran, vous ne pouvez pas avoir oublié les batailles sanglantes qui opposaient ces valeureux guerriers. Quoi qu’il en soit, un hypnothérapeute malhonnête pourrait très bien exploiter cette croyance pour exercer une emprise sur son patient. Quelle aurait été la réaction de ce monsieur si, à son réveil, je lui avais expliqué qu’il avait revécu un épisode d’une vie antérieure ? Une vie passée ou il fut un respectable et redoutable samouraï. Et aujourd’hui, peut-être que nous pourrions le connecter un peu plus à ce personnage. Dans quel but ? Eh bien pour qu’il puisse éventuellement donner un peu plus de sens à certaines choses. À ce qui lui échappe, ce qu’il ne maîtrise pas. Et si j’avais ajouté que toutes ces vies antérieures allaient concourir à son épanouissement présent ? Que les expériences de samouraï, de chevalier, de pharaon allaient l’aider à mieux se comprendre, à lui donner une sorte de pouvoir que le commun des mortels ne possède pas. Dans un monde idéal, ce monsieur me regarderait de haut en m’expliquant que je raconte n’importe quoi et qu’il a simplement fait une expérience de transe hypnotique. En somme, pas de quoi pavoiser devant un phénomène largement explicité par les neurosciences. Mais nous ne sommes pas dans un monde idéal. Et il y a de fortes probabilités que ce monsieur me croit. Pourquoi ? Eh bien tout simplement parce que je passe par la brèche de sa croyance qui s’est exprimée lors de l’expérience d’hypnose.
Selon vous, quel degré de vulnérabilité ce monsieur atteindra si on utilise ses croyances comme levier ? Et plus généralement, à combien s’élèvent les sommes extorquées par tous les charlatans qui exploitent de telles failles ? Impossible de répondre et même d’estimer cette manne incroyable générée par des praticiens sans vergogne.

Je l’avais écrit dans un article précédent, les manuels de bien-être, de développement personnel, de dépassement de soi pullulent dans les librairies, et si tous ces ouvrages sont pour la plupart écrits par des personnes sérieuses et fréquentables, il n’en demeure pas moins que l’attrait pour tout ce que l’on appelle injustement « médecines douces » est en nette progression. Dans un monde hiératique, où les repères sociaux et institutionnels sont malmenés, il est bien plus satisfaisant d’adopter des croyances qui nous donneront un semblant d’explication ou au moins de réconfort. Aussi étonnante soit-elle, cette démarche est naturelle. Nous avons tous des croyances. Cependant, certaines sont plus sensibles que d’autres, car elles peuvent nous éloigner voire nous déconnecter des réalités scientifiques quand il ne s’agit pas du bon sens. C’est en partie ce qui explique la défiance à l’égard des vaccins par exemple. Les anti vax sont le dernier avatar de la multinationale New Âge qui inonde le monde de croyances malsaines depuis plus de cent ans.


Nous adhérons à ces croyances, tout simplement parce que nous sommes des êtres émotionnels et que le cerveau ne va pas s’embarrasser à traiter des statistiques. Ainsi, devant la recrudescence de cas de maladie de Parkinson, il est tentant d’en imputer la cause aux vaccins. Cette paresse intellectuelle exclut un paramètre très important : l’espérance de vie est passée – pour les femmes, de 69,2 années en 1950 à 84,8 années en 2011 et de 63,4 années à 78,2 années pour les hommes, pour la même période. Non, notre esprit n’est décidément pas statisticien et confondra – une fois n’est pas coutume, corrélation et lien de cause à effet.
Dissonance cognitive, quand tu nous tiens !
Corrélation il y a, entre la montée en puissance des vaccins et l’augmentation des cas de maladie de Parkinson. Mais il n’y a pas de lien de cause à effet. En revanche, l’augmentation de l’espérance de vie va augmenter les classes d’âge susceptibles de développer des maladies dégénératives. Il est dans ce cas plus facile d’admettre que la vieillesse est le principal vecteur des maladies dégénératives. J’ajoute – bien que n’ayant pas fait médecine, que la vieillesse est la principale cause de la mort. Bien sûr, rien ne nous interdit de croire que les vaccins augmentent les risques, mais en l’état actuel de nos connaissances, il est impossible de le prouver.

Je le répète, la plupart de nos croyances ne sont pas à proprement parler préjudiciables cependant, dès lors qu’elles sont exploitées par quelqu’un de malintentionné, nous courrons le risque de nous faire manipuler et arnaquer.
Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai découvert qu’un couple d’hypnothérapeutes s’était installé dans la région d’Elbeuf. Par curiosité, je suis allé faire un tour sur le site de ces deux confrères. À première vue, tout ce qui était présenté était relativement sérieux néanmoins, mon voyant de méfiance est passé au rouge, dès lors que j’ai vu que ce couple pratiquait le magnétisme et même le magnétisme à distance. Ce mélange des genres ne fait malheureusement pas bonne presse à l’hypnose. Comment faire cohabiter deux techniques dont l’une n’a aucune caution scientifique et qu’elle est – à ce jour, considérée comme une pseudoscience, alors que l’autre se laisse éprouver par toutes sortes de protocoles de validation ? Pour notre grand malheur, l’hypnose n’est toujours pas une profession réglementée. Vous pouvez ainsi lire un manuel d’hypnose et décider de poser votre plaque pour exercer en toute légalité. Réglementer l’hypnose est un chantier titanesque. Car il faudrait définir par quelle formation devrait passer un praticien. Déciderait-on de réserver cette activité aux seules professions médicales voire paramédicales, ce qui exclurait de fait une bonne partie des praticiens actuels, dont moi. Pour autant, je pense qu’il sera difficile de faire encore longtemps l’impasse sur cette question, car il est impératif de créer un cordon sanitaire entre l’hypnose et les pseudosciences.

Vous doutez encore de l’urgence d’un tel chantier ?

Alors permettez-moi de vous donner un dernier exemple.

Il m’arrive parfois de recevoir des patients qui sont dans le deuil. Bien souvent, ces gens sont d’une extrême lucidité. Ils savent bien qu’ils doivent lâcher, laisser partir le défunt, mais ils ne parviennent pas à s’y résoudre. Dans ce cas, je propose à mes patients d’aller à la rencontre de la personne disparue. Pour lui dire au-revoir, parce que c’est important de la laisser partir. De le libérer. Après quoi, je prends bien soin d’expliquer à mes patients qu’il s’agira d’une expérience d’hypnose reposant sur des mécanismes d’imagination. Rien de ce qu’ils vivront ne sera vrai, mais ils vont pouvoir faire comme si, parce que symboliquement cette simulation leur apportera la sérénité qu’ils attendent. La plupart du temps les patients sont satisfaits de cette expérience. Certains pleurent, mais les visages sont souriants, car ils ont pris le temps de dire un dernier au-revoir. J’avoue que je suis moi-même toujours bluffé par cet acte de résilience provoqué par un simple exercice d’imagination.

Je souligne que chez certains patients, le degré de réalité peut réellement troubler au point de croire que l’on est en face du défunt. C’est précisément là que le thérapeute malintentionné va tenter de manipuler sa victime. Et s’il arrivait à convaincre son patient que l’hypnose est le moyen ultime pour communiquer avec l’être cher ? Et si ce patient revenait régulièrement en séance pour rencontrer d’autres défunts, en apprendre un peu plus sur lui, pourquoi il est comme ça, et pas autrement ?
La mort est un phénomène qui ne laisse pas l’humanité indifférente. Pour s’en convaincre, il suffit de fréquenter les bibliothèques et de visiter les monuments religieux. La mort est parmi nous. Elle frappe à chaque instant, mais nous n’avons jamais compris ce qu’elle était et surtout, quel était le sens de tout cela. La mort d’un proche est évidement quelque-chose d’inconcevable. Une partie de nous accepte son inéluctabilité pendant qu’une autre la réfutera. Parce qu’il faut encore et toujours satisfaire ce besoin impérieux de donner du sens aux choses. Les esprits nous font des signes au quotidien. Libre à nous de les déceler.
Là encore, tout le monde est libre de croire aux esprits et aux fantômes.
Mais pas les hypnothérapeutes sérieux.


J’entends souvent que le scepticisme est un filtre bien trop puissant. Tellement puissant qu’il ne laisse passer aucun rêve, aucune magie, faisant endosser aux sceptiques la réputation d’être des gens tristes à mourir. Je veux bien admettre que certains sceptiques ne soient pas fun, mais leur nombre se perd dans la grande majorité des sceptiques fans des Game of Thrones, pendant que d’autres feront des parties de Quidditch sur le plancher des vaches.

Personnellement, je ne regarde pas Harry Potter parce que je crois en la magie. Je regarde Harry Potter, parce que j’aimerais que la magie existe. C’est pour les mêmes raisons que j’ai menti à mes enfants à propos du Père Noël et que je leur faisais des bisous magiques lorsqu’ils se blessaient. Et enfin, c’est pour les mêmes raisons que je ne me sentirai jamais guéri parce que je porte un talisman en tourmaline autour du cou. Pas plus que je ne croirai aux vertus de l’eau informée, fut-elle une combinaison de plusieurs procédés scientifiques, développée par des chercheurs internationaux ayant reçu plus de 90 récompenses pour leurs travaux.

L’hypnothérapie est une pratique sensible. Tout simplement parce qu’elle permet d’entrevoir très facilement la vulnérabilité des patients qui viennent chercher de l’aide. Et si vous ajoutez à cela le haut degré de suggestibilité résultant d’une séance d’hypnose, vous comprendrez l’importance de l’éthique. Évidemment, l’éthique devrait être un point cardinal pour toutes les professions. Mais je pense qu’elle l’est encore plus pour les métiers de la santé mentale.
Alors prudence, et continuez de pratiquer le doute. Cependant, ne renoncez jamais à l’envie d’espérer que les fées existent. D’ailleurs qui sait ? Peut-être qu’un jour la méthode scientifique le prouvera.