lundi 11 mars 2019

Demain j’arrête de fumer





Je reçois de nombreux patients qui viennent consulter pour mettre un terme à leur dépendance tabagique. Avant toute chose, je leur demande toujours s’ils sont motivés pour arrêter. La question a de quoi surprendre. Pour autant, elle n’est pas incongrue, car des personnes sont parfois poussées à arrêter alors qu’elles ne le souhaitent pas vraiment. C’est le cas de ce monsieur qui adore fumer, mais dont l'épouse aimerait le voir sortir de ce tabagisme. Il vient pour faire plaisir à sa femme, et aussi pour satisfaire sa curiosité face à ce phénomène dont tout le monde parle.

Il y a également les indications médicales. J’ai reçu de nombreux patients envoyés par leurs médecins, car leur état de santé nécessitait l’arrêt du tabac : système respiratoire défaillant, cancer, opération chirurgicale à venir (le tabac ralentit en effet considérablement la cicatrisation). 

Je n’ai à ma disposition aucune étude statistique pour le confirmer, mais je constate que les personnes contraintes verront chuter considérablement leurs chances de réussir. J’explique toujours aux patients que le succès d’une thérapie passe toujours par une volonté de changement. Cette volonté pourrait être assimilée à un corps qui passe d’un état d’inertie à un état de mouvement. Le levier permettant le changement est là, à condition que le patient se remette en mouvement pour essayer de l’actionner.

J’ajoute que les patients dont les champs lexicaux se rapportent à la peur, l’échec et le négatif vont rendre ce mouvement impossible. « J’ai peur que ça ne marche pas, j’ai peur que ce soit difficile, j’ai peur de grossir... ! » sont autant de micros programmes qui désactivent toute possibilité de changement. Cela revient à inverser la première strophe du poème de Jacques Prévert, le cancre : « Il dit oui avec la tête, mais il dit non avec le cœur ! »

La dépendance au tabac est une dépendance très particulière. Autant il est risqué de demander à un patient alcoolique de cesser toute consommation de spiritueux du jour au lendemain, mais pour un fumeur, il suffit de jeter son paquet de cigarettes. Aucun risque qu’il finisse sous la couette avec un syndrome de sevrage. Néanmoins, je rassure toujours mes patients en leur expliquant qu’ils peuvent mettre des patchs après la séance d’hypnose, l’essentiel étant de se débarrasser au plus vite du geste. Le geste, c’est le programme qui s’est installé au fur et à mesure de la consommation du tabac. Ce poison, qui avait été jusque-là un élément étranger, va peu à peu s’intégrer dans le quotidien du patient. La cigarette et ses accessoires vont sournoisement se rapprocher du corps, devenir des atours, à l’instar des vêtements. Bien souvent, le paquet et le briquet sont stockés dans une poche ou dans un sac à main, à portée de main, de bouche.

En plus du geste, les patients fabriquent inconsciemment des associations de mots dont la sémantique renforce la légitimité du tabac. À la cigarette seront agrégés toutes sortes de termes positifs comme le plaisir, la détente, la pause… Ces associations, je les entends souvent en consultation : « Vous comprenez, la cigarette, c’est mon petit plaisir au boulot, pendant les pauses et puis, avec un café c’est vraiment sympa ! » Lorsque j’entends ces associations, je sors toujours du cadre de la reformulation pour demander au patient s’il peut dissocier ces paires de mots et essayer de les recombiner : pause – plaisir ; détente – café ; stress – cigarette ; ennemi – tabac…

Cette recombinaison est un exercice récréatif et utile pour saper toutes les croyances qui se sont installées en même temps que la dépendance au tabac. J’invite systématiquement mes patients à traquer ces mauvaises habitudes pour les chasser progressivement d’ailleurs, ils le font assez facilement et s’amusent parfois de ces associations qui se sont installées avec le temps. Il ne faut jamais négliger et douter de ces techniques de ré-association.

Lorsqu’un patient doute du changement, je peux me permettre des comparaisons qui peuvent, en apparence faire bondir. Cependant, je rappelle que notre raisonnement fonctionne sur plusieurs niveaux. Il existe des niveaux très analytiques et critiques, tandis que d'autres vont préférer fonctionner sur des registres sensibles et émotionnels. Ainsi le premier niveau mental - critique - accueillera avec scepticisme une histoire pendant que l’inconscient l’intégrera très facilement. Rappelez-vous, les contes de fées et leurs différents niveaux de lecture.

Voici une histoire étonnante et très efficace :
 
« Je suis certain que vous connaissez, de près ou de loin, une femme 
battue. C’est tragique toutes ces femmes qui vivent sous l’emprise d’un mari violent. Et quand je dis violent, il ne s’agit pas uniquement de violence physique. Vous savez à quel point les mots peuvent meurtrir. Alors heureusement certaines finissent par partir. Parfois au bout de quelques mois, mais cela peut prendre aussi des années. On se demande toujours ce qui peut les pousser à partir un jour. A-t-il frappé plus fort ? A-t-il été plus humiliant ? Rien de moins sûr. Alors, qu’est-ce qui peut bien se passer ? Pourquoi, contre toute attente, prennent-elles la décision de partir ? Elles auraient pu le faire depuis longtemps non ? Ma foi je n’ai pas de réponse à cette question. Mais il y a bien quelque-chose qui arrive à dénicher la ressource, la ressource pour remettre l’existence en mouvement. Qu'est-ce qui a bien pu provoquer le changement ? »

Le mental va probablement écouter cette histoire avec circonspection cependant que l’inconscient intégrera les choses autrement.
Mais revenons à cette femme qui a réussi à fuir. À ceux qui pensent qu’il existerait une sorte de prédestination quasi immanente qui pousserait les femmes battues à reproduire le même schéma, je répondrais – en bon hypnothérapeute ericksonien – que la résilience permet à coup sûr d’écrire une toute autre histoire. Imaginons ensuite cette femme, heureuse et avec le recul de quelques années. Quand elle repense à son passé. N’est-elle pas étonnée d’avoir accepté toute cette violence ? Ce conjoint violent, tyrannique, manipulateur… Pourquoi était-elle persuadée qu’elle n’aurait jamais le courage de fuir ?

Et pourtant.

Après une courte pause, j’explique à mon patient que la cigarette n’est autre que ce mari violent. On se croit dépendant, on a peur, on se persuade qu’on en a besoin.
Et pourtant.

Inutile de prolonger cette histoire, l’inconscient s’occupe du reste.
Après cet entretien je propose à mon patient de faire de l’hypnose. Évidemment cela le rassure, car s’asseoir dans un fauteuil et fermer les yeux est l’idée générale que l’on se fait de l’hypnose. Je ne crois pas que cette étape soit toujours nécessaire. Bien souvent, l’hypnose conversationnelle est suffisante pour provoquer le changement.

Enfin, après la séance, j’utilise toujours la fameuse prescription de tâches, à l’instar du médecin qui rédige une ordonnance.
 
« Quand vous rentrerez chez vous, je vous conseille de prendre une bonne douche et de mettre vos vêtements au sale. Ces vêtements, cette 
odeur, n’ont rien à faire sur un ancien fumeur, vous ne croyez pas ? Et s’il vous reste des cigarettes, je vous invite à les jeter maintenant dans ma poubelle, à moins que vous ne le fassiez devant vos enfants ce soir, en leur expliquant que vous avez décidé de vivre. Vous saurez trouver les bons mots, j’en suis persuadé ! »