samedi 21 novembre 2020

Hypnose versus performance en entreprise.

 

 

Depuis que je pratique l’hypnose médicale, j’entends souvent mes patients évoquer toutes sortes de difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice quotidien de leur métier. Ici on parle de pression, là il s’agit de solitude, d’isolement, quand ce n’est pas tout simplement une situation conflictuelle avec un ou plusieurs collaborateurs.

Je ne possède pas les compétences sociologiques pour établir une analyse du monde du travail. Il existe cependant des études solides qui relatent le mal-être dans le milieu professionnel, pointent des méthodes managériales désastreuses, sans omettre le contexte socio-économique et sanitaire qui jette un voile d’incertitude sur l’emploi.

Sans intervenir directement sur le lieu de travail de mes patients, je me trouve parfois — par nécessité — obligé d’orienter mes séances autour du rapport qu’ils entretiennent avec leur milieu professionnel. Cet exercice est d’autant plus délicat que l’hypnose n’a pas vocation à analyser, mais à aider le patient à corriger la perception qu’il a de ses collaborateurs, de sa hiérarchie et plus généralement du microcosme dans lequel il évolue. Il ne m’appartient donc pas de juger par procuration tel ou tel collaborateur, mais plutôt de détourner mon patient de l’analyse qu’il fait de son environnement professionnel. Cet exercice est particulièrement ardu quand il y a malheureusement des comportements avérés de harcèlement et de dénigrement.

Alors, comment procéder sur la base d’un unique témoignage ?


J’ai écrit de nombreux articles sur l’hypnose et ce fameux lâcher-prise très à la mode dans les conversations. Cette expression est devenue une sorte de mantra, au même titre que la bienveillance. Elle s’est invitée dans les conversations et il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre quelqu’un conseiller à un proche de lâcher-prise. Pour autant, il n’est pas évident de définir ce mot composé, comme s’il s’agissait d’une formule extraite d’un grimoire un peu ésotérique. La plupart du temps, nous devinons qu’il est plaisant de lâcher-prise, sans trop savoir le mettre en œuvre.

Les anglo-saxons parlent d’acceptance, terme qui pourrait prêter à confusion, à moins de revenir à l’étymologie du mot et considérer qu’accepter une situation ne revient pas à se résigner. En effet, le Litré explique qu’accepter vient du latin acceptare, fréquentatif de accipere qui signifie recevoir. Recevoir et lâcher-prise sont ainsi deux manières de définir la même chose : plutôt que de se braquer et appliquer une réponse d’évitement, pourquoi ne pas laisser venir les choses telles qu’elles sont et laisser notre créativité configurer un autre comportement ? Pourquoi perdre de l’énergie devant un chef tyrannique ? Quelles autres solutions peuvent-être envisagées ?

Ce n’est pas au thérapeute d’apporter ces réponses, mais assurément elles existent.


Le harcèlement est certes une réalité dans le milieu professionnel, mais il existe de nombreuses situations où le terme harcèlement est utilisé à tort. Je parlerais plutôt d’incompréhension.

La langue française est précise, mais elle ne met pas à l’abri de quiproquos qui peuvent générer des tensions voire des conflits. Une remarque sera bien acceptée par ce collaborateur, alors qu’elle sera très mal perçue par un autre. Pourquoi ?

Gardons toujours à l’esprit que notre représentation du monde est subjective et qu’elle ne retranscrit pas la réalité — à moins de pouvoir lire les pensées des autres. Nous jugeons donc les actes, sans avoir une idée précise des intentions. Par conséquent, une intention bienveillante peut générer un acte maladroit perçu comme insultant ou vexant. L’hypnothérapie est un moyen – parmi d’autres – d’aider le patient à reconfigurer la perception de ses rapports professionnels. Après tout, nous sommes naturellement capables de revoir nos jugements et nous le faisons beaucoup plus que nous le pensons. Les résultats d’une thérapie par l’hypnose sont souvent édifiants voire amusants. Certains de mes patients ont complètement transformé leur environnement de travail ou plutôt, ils ont reconfiguré celui-ci.

« Ce type Laurent B, je pouvais pas le blairer. Quand il est arrivé dans l’entreprise avec ses diplômes, j’avais 8 ans d’ancienneté. Malgré mes 34 ans, je possédais de solides compétences et me sentais légitime. Et du jour au lendemain, je me suis senti mis à l’écart par mes collègues enfin, c’est ce que je croyais. Puis un jour Laurent B et moi avons commencé à nous parler. Oh, ce n’était pas la grande explication. Mais il y a eu comme une sorte de déclic qui a fait que nous avons décidé de travailler sur un projet en commun. Et j’ai compris qu’il avait de l’estime pour mon travail et il m’a même demandé des conseils. Quant à l’éloignement de mes collègues, j’ai réalisé que c’est moi qui avais pris mes distances, parce que j’étais malheureux et vexé ! »


Un peu plus haut, j’expliquais que le harcèlement n’était pas toujours en cause. J’aimerais cependant revenir sur un type de harcèlement particulièrement pernicieux : son propre harcèlement. Cette petite voix intérieure qui ne s’éteint jamais.

Il y a quelques années, j’ai reçu une patiente très stressée. Elle m’a parlé de son travail et combien il était important pour elle de s’accomplir professionnellement. Elle ne rentrait jamais avant 19h le soir, et il lui arrivait même d’emporter des dossiers pour bosser le week-end. Ses nuits étaient compliquées, car son sommeil se résumait à quelques heures. Dès qu’elle se retrouvait dans le noir, elle préparait sa journée du lendemain, planifiant chaque chose, en essayant de n’omettre aucun détail.


« Vous comprenez, c’est important pour moi de bien faire mon travail et puis, quand on est une femme, il faut se surpasser ! »


À l’évidence, cette patiente soulevait l’épineuse question du statut des femmes dans le monde du travail : une problématique qui est malheureusement loin d’être réglée dans nos sociétés modernes. En outre, j’avais détecté dans sa phrase un terme qu’il fallait absolument déconnecter : retirer le bien dans bien faire son travail.


« Fermez les yeux quelques instants. Que ressentez-vous ? Quelles sont les sensations corporelles que vous pourriez décrire quand vous parlez de bien faire votre travail ?  Quelle est la différence entre faire son travail et bien faire son travail ? »


La dictature de la performance ne rend pas les gens plus performants. Elle installe un conseiller tyrannique qui hurle dans nos têtes sans nous lâcher d’une semelle – pour ma part, j’imagine ce sergent instructeur dans Full Metal Jacket de Stanley Kubrick. Performer, c’est anticiper, mesurer, analyser. Malheureusement, par un curieux effet de capillarité, cette charge mentale se déverse dans la vie privée. Il faut contrôler tout ce qui se passe chez soi : les enfants, leur scolarité, leurs activités, l’entretien de la maison, la planification des vacances, etc.

Le despotisme de la performance finit tôt ou tard par détruire nos capacités naturelles. Je pourrais m’étendre sur les conséquences qui se traduisent souvent par des troubles du sommeil, la perte de confiance en soi, un état dépressif, paranoïaque et au final le burn-out qui n’est autre qu’une ultime mise en garde d’un corps qui se rebelle contre l’autoritarisme du mental.

Les techniques d’hypnose sont assurément très utiles pour mettre un terme à l’auto-harcèlement en licenciant le conseiller mental. En une ou deux séances, il est étonnant de voir comment les patients s’installent avec plaisir dans ce nouveau rapport au travail et plus généralement au monde. Il n’est plus uniquement question de mots, de phrases, de cette verbalisation poussée à l’extrême avec ces dialogues internes qui n’en finissent pas, mais plutôt de sensations, d’une immersion dans un tout. Ils me décrivent souvent le temps comme étant ralenti, comme s’ils arrivaient à voir des choses qu’ils ne pouvaient discerner auparavant. Ils sont à nouveaux disponibles. J’insiste bien sur ce terme de disponibilité, car c’est la clé de l’hypnose : se rendre disponible à quelque-chose.


Autre fait très intéressant, les patients qui s’extirpent de la dictature de la performance avec l’hypnose deviennent à leur tour d’excellents conseillers auprès de leurs collaborateurs. Leur mieux-être fait souvent l’objet de questionnements et sans le savoir, ils donnent quelques conseils d’auto-hypnose à leurs collègues. Ces patients sont parfois d’excellents thérapeutes.

Une cadre dans l’industrie pharmaceutique m’avait un jour expliqué ceci :


« Je dois souvent m’occuper de stagiaires. Vous savez, quand on est cadre, on n’a pas forcément beaucoup de temps à leur consacrer. Certains prennent aussitôt les bonnes initiatives et se fondent facilement dans leur environnement pro, alors que d’autres ont beaucoup plus de mal. Maladroitement, ils font comme Zébulon vous savez, ce petit personnage de Pollux sur ressort qui tournait dans tous les sens. Ils brassent de l’air et finissent par agacer les collaborateurs. Depuis que j’ai fait de l’hypnose avec vous, je prends un peu plus de temps pour m’occuper des stagiaires. Au début, ça étonnait les collègues mais c’est aujourd’hui presque une routine. Quand je détecte un stagiaire un peu paumé et stressé, je lui apprends à ne rien faire pendant cinq minutes. Dans mon bureau il y a une grande baie vitrée qui donne sur un parc. C’est assez joli et j’aime prendre le temps de me perdre dans ce paysage. Je leur demande de regarder les arbres, les feuilles, les nuages dans le ciel. Évidemment au début ça les surprend, mais comme je suis leur chef, ils jouent le jeu. Ils dissimulent leur étonnement et regardent par la fenêtre, en essayant de se concentrer, pendant que je décris les sensations du vent, du soleil, enfin, je fais comme vous m’avez montré en hypnose. Eh bien figurez-vous que ça les détend et du coup, sans trop savoir l’expliquer, ils s’intègrent mieux dans l’équipe ! »


Les techniques d’hypnose paraissent enfantines. C’est la raison pour laquelle elles font sourire et rebutent les — trop sérieuxprofessionnels de la performance. Souvenez-vous, la culture de la performance est parsemée de certitudes qui voudraient que tout soit sérieux. Imaginer que l’on est un rocher est en soit absurde, mais des écrivains comme Camus nous ont bien démontré que l’absurdité était en fait une réalité quotidienne de laquelle il est vain de s’extraire.

L’hypnose thérapeutique — et sa proche cousine la méditation — a largement démontré les bénéfices qu’elle apporte tant sur le plan personnel que professionnel. Pour rester sur le registre de l’absurdité, les techniques d’hypnose permettent de nous rendre performants en essayant de ne pas l’être.

Quand on commence à comprendre l’hypnose, il n’est pas ridicule de dire que ne pas essayer est le meilleur moyen d’y parvenir.

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