Quand la sidération nous aveugle.
Avez-vous
déjà observé un charmeur de serpents ?
Alors
que la flûte décrit des cercles répétés, les cobras se
synchronisent sur les mouvements et se gardent bien d’attaquer le
joueur de flûte.
À
première vue, nous serions tentés de penser que le reptile est
hypnotisé par la seule mélodie du charmeur. Cependant,
rappelez-vous que les serpents ne possèdent pas d’oreille externe.
Ils ne sont pas sourds à proprement parler, mais sont très
sensibles aux vibrations.
Le
charmeur, sachant cela, tape des pieds en rythme sur le sol afin de
mettre le reptile en situation de défense. Quant à la flûte, le
serpent la considère comme une menace et ondule devant elle pour
mieux contrôler la situation.
Le
serpent est ainsi piégé par le charmeur et se fige dans une posture
de contrôle. On dit qu’il est sidéré, coincé dans une situation
dont il ne peut s’extraire.
Cet
état de sidération est assez courant chez l’être humain.
Certains événements amènent parfois à de telles attitudes. Et les
exemples ne manquent pas : une rupture amoureuse, un
licenciement, une situation professionnelle délicate, un trouble
obsessionnel… sont autant de situations qui font sombrer dans une
posture de contrôle absolu totalement improductif.
Bien
sûr, le contrôle est un réflexe normal chez l’être humain. Il
répond à un schéma, un comportement que l’on adopte pour faire
face à telle ou telle situation. Ces schémas sont construits par
notre éducation, nos expériences, nos apprentissages, bref, de tout
ce que nous avons emmagasiné au cours de notre existence. En somme,
ils aident à la prise de décision et sont le fruit d’un empirisme
naturel très élaboré.
La
plupart du temps ces schémas sont utiles. On se dit qu’ils
fonctionnaient hier, alors il n’y a pas de raison pour qu’ils ne
soient pas efficaces aujourd’hui. Mais certaines situations rendent
ces schémas totalement inopérants. Alors, tel le serpent, on
s’installe dans une sidération, un contrôle absolu ne laissant
entrevoir aucune sortie.
Le
contrôle est l’ennemi de la créativité. Ainsi, lorsque le
serpent se trouve fasciné par les mouvements de la flûte et les
vibrations émises par le charmeur, il laisse s’échapper de
multiples réalités susceptibles de lui offrir bien des
échappatoires. A-t-il
seulement idée du monde qui s’offre à lui en dehors du panier ?
L’état
de sidération est assez facilement décelable chez un patient.
Lorsque, à partir de la deuxième consultation, celui-ci raconte la
même histoire, il devient nécessaire de lui faire abandonner ses
schémas obsolètes. L'hypnothérapeute François Roustang parle à juste titre de « la
fin de la plainte », car c’est précisément la plainte qui
enferme le patient dans une posture ôtant toute possibilité
créative. Il ne voit que la flûte et n’entend que les vibrations
émises par les pieds du charmeur.
Répéter
une plainte peut offrir un sentiment provisoire de confort.
Cependant, ce confort s’estompe rapidement, car la plainte fait
rapidement remonter toutes les émotions qui lui sont associées :
elle potentialise le mal-être.
C’est
à ce moment qu’intervient l’hypnothérapeute. Celui-ci va
utiliser différentes méthodes permettant au patient d’interrompre
momentanément la plainte. L’objectif est d’écarter les schémas
désuets pour les remplacer par des réponses créatives. Ces
réponses créatives ne peuvent être apportées par le mental, car
le mental est précisément responsable de cette sidération.
Celui-ci ne souhaite pas abandonner ses vieux schémas, ses vieilles
croyances et se fige dans un processus itératif ; c’est le
fameux cercle vicieux de la pensée obsédante.
Le
psychothérapeute Paul Watzlawick, célèbre pour ses travaux au sein
de l’École de Palo Alto, expliquait qu’un problème n’est
jamais insoluble tel qu’il se présente devant vous, mais peut le
devenir par la manière dont vous pouvez chercher à la résoudre.
Les
méthodes hypnothérapeutiques vont donc contourner les résistances
mentales pour aider le patient à entrer dans un dialogue avec ses
ressources inconscientes, ces mêmes ressources inconscientes qui
permettront de construire une autre réalité et un mieux-être.
En
attendant, souhaitons que le cobra ne se laisse pas convaincre par
son inconscient créatif. Faute de quoi, la profession des charmeurs
de serpents courrait un grand danger.
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